阿斯巴拉弄 Ā sī bā lā nòng
On pourrait s’étonner sans fin des curieuses disparitions de hauts dignitaires qui émaillent la vie politique chinoise. Il est vrai qu’un ministre des Affaires étrangères (QIN Gang), un commandant des Forces balistiques (LI Yuchao) et un ministre de la Défense (LI Shanfu*) qui s’évaporent en quelques semaines - surtout après avoir été parachutés directement par le Très-Haut - ça peut surprendre.
Xi Jinping, dans ses trois tomes immortels sur la Gouvernance, nous avait vendu un modèle un peu moins chaotique et on n’aurait pas imaginé que le statut de Protégé du Patron soit, en réalité, aussi précaire.
On pourrait aussi continuer de déplorer l’opacité du régime chinois tout en disséquant inlassablement les luttes de pouvoir au sein de l’appareil, à partir des bribes d’infos plus ou moins fiables qui nous parviennent. Pour une fois qu’on a un jeu où aucun sinologue ne risque d’être contredit !
Mais ce faisant, compte tenu du climat de tensions que la Chine ne cesse d’alimenter, nous nous condamnerions à être les éternels spectateurs impuissants d’incertitudes de plus en plus perturbantes et dangereuses.
Tant que la Chine, comme jusqu’au milieu du XIXe siècle, vivait isolée, elle pouvait faire ce que bon lui semblait sans susciter trop d’émois. Mais aujourd’hui, elle est une grande puissance économique et nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Sa présence dans tous les recoins de la mondialisation devrait en principe réjouir tout le monde.
Cependant, compte tenu du bras de fer économique, géopolitique, stratégique et militaire dans lequel elle est engagée depuis près d’une décennie avec l’Occident (les USA en tête), compte tenu de l’agressivité de sa diplomatie revancharde, de son expansionnisme décomplexé, de ses rêves de toute-puissance et de la nature peu fréquentable de ses alliés (russes, iraniens, nord-coréens et dernièrement Talibans), les relations avec la Chine sentent parfois un peu trop le soufre.
Pour ne prendre qu’un exemple, la situation actuelle en mer de Chine du sud et notamment dans le détroit de Taiwan est devenue proprement explosive. La semaine dernière, la Chine s’est livrée à des manœuvres navales d’une ampleur inégalée pour encercler l’île avec plus de 20 navires de guerre. De sources taiwanaises l’aviation chinoise aurait violé plus de 160 fois la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan (ADIZ).
Vous remarquerez comme moi que tout cela s’est déroulé en dépit de (ou grâce à ?) la disparition du ministre de la Défense. Cela révèle la faiblesse de son rôle opérationnel, le vrai pouvoir revenant en réalité à la Commission Militaire Centrale du PCC**, présidé par… Xi Jinping, lui-même.
Les dernières manœuvres, que les optimistes qualifient de simulation de prise de contrôle de Taiwan, ne doivent pas nous faire oublier qu’il y a des odeurs qui ne trompent pas, et qu’il faut savoir nommer de bonne heure.
Où va la Chine ? Qui contrôle le pays ? Que signifient ces gesticulations militaires ? Ces mystérieuses arrestations menacent-elles le Président chinois ? Son pouvoir est-il contesté au sommet ? Qui sera le prochain à disparaître ? Vers quelles nouvelles folies le Grand Timonier du Covid va-t-il précipiter son peuple ? Bien malin qui peut le dire. Mais combien de temps encore aurons-nous le luxe de nous poser la question ?
Chacun sait que face à un homme armé et déterminé, on négocie différemment selon ses objectifs et de son état d’esprit.
S’il est illusoire d’espérer de la Chine davantage de transparence, il est peut-être bon qu’elle comprenne que l’opacité dont elle abuse est une arme à double tranchant. Offrir à ses interlocuteurs, y compris à ses adversaires, une lisibilité minimale sur ses intentions, permet d’éviter de tragiques erreurs d’appréciation.
En effet, quand des hommes armés jusqu’aux dents, sans aucune confiance mutuelle, se retrouvent dans une même pièce, que la tension monte à son paroxysme et que tout à coup la lumière s’éteint, on ne peut pas en vouloir à celui qui met en pratique le bon vieux principe de Pascal*** selon lequel : «Moi, je ne connais qu’une seule philosophie : défourailler le premier. »
---
* Ne pas confondre avec YI Sanfu, qui lui, s’en tape complètement.
** Dont la moitié des membres de la haute-direction, selon des sources américaines, serait actuellement sur la sellette.
*** Pas Blaise Pascal, mais Pascal tout court, l’ange-gardien à la présence rassurante de Fernand Naudin dans les Tontons flingueurs (1963)
Bruno Gensburger est interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal a eu plusieurs vies. Aujourd’hui illustrateur et auteur de bandes dessinées, Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.
Bien vu!