Amitié
Ce 21 mars, un des micros d'Hors-Normes est resté malencontreusement ouvert dans un pot de fleur...
友谊 - Yǒuyì
Ce 21 mars, un des micros d’Hors Normes, resté malencontreusement ouvert dans un pot de fleur, a surpris cette conversation lors de la rencontre entre Vladimir Poutine et Xi Jinping
XJP : Vlad ! Ravi de te revoir.
VP : Bienvenue, JP ! Ça fait longtemps…
XJP : Depuis février dernier aux JO de Pékin… ça file, dis donc !
VP : Eh oui… Depuis, comme tu sais, j’ai été un tantinet occupé. Mais moins que la Crimée... (rire glacial)
XJP : Oui, j’ai vu ça. On devrait jamais quitter St Pétersbourg.
VP : En tout cas, je suis content que tu sois venu. Au fait, félicitations pour ta réélection !
XJP : Oh, tu sais… Simple formalité.
VP : Bon ! On a trois jours tranquilles pour discuter et c’est pas les sujets qui manquent. L’Ukraine, l’OTAN, l’ONU, l’Afrique, le Moyen-Orient…
XJP : En effet, mais d’abord, trinquons à notre amitié.
VP : A notre amitié… sans limite… ? Solide comme un roc, c’est bien ça ?
XJP : Oui, c’est ça. Pourquoi tu fais cette tête ?
VP : Pour rien. Mais ça tombe bien, j’ai besoin de toi.
XJP : Non, Vladimir. Je te vois venir et c’est non. Je ne te livrerai pas d’armes. Trop dangereux.
VP : Dramatise pas. Vos produits se sont améliorés, à ce qu’on dit.
XJP : C'est pas le problème.
VP : Alors quoi ? C’est Biden qui te fait peur ? Avec son petit OTAN, avec son petit AUKUS, avec ses petits missiles, c’est ça ?
XJP : T’es marrant, toi ! Et puis y a l’EU. Mets-toi à ma place, je ne peux pas me fâcher avec mon plus gros client. Je m’en relèverais pas. Tu sais, l’économie chinoise, c’est plus ce que c’était.
VP : Mais tu vois pas qu’il est déjà en train de se barrer, ton super client ?!?
XJP : Non non, je peux encore le retenir. Macron vient me voir mi-Avril, avec la van der Leyen.
VP : Et alors ? Qu’est-ce que tu crois ? Ils m’ont flanqué un mandat d’arrêt international. A toi, ils vont te faire la leçon sur les Ouïghours, le Covid, l’Etat de Droit et tout le Barnum. Avec quoi tu vas les retenir ?
XJP : Mais comme d’habitude. Avec les couplets sur l’amitié, la coopération, l’ouverture du marché chinois, les futurs profits colossaux, le win-win… Ça fait 40 ans qu’on les a à notre pogne avec ce baratin. Mais tu sais, si l’UE me lâchait vraiment, j’aurais plus de mal à te soutenir.
VP : Bof… ! Pour ce que tu m’aides. C’est pas avec tes « technologies duales » en peau de lapin que je vais…
XJP : Dis-donc, tu charries ! Avec ce que je t’achète comme gaz et comme pétrole, ça te met quand même du beurre dans les épinards, pour ton « opération spéciale », non ? Mais dans le fond, je suis comme toi. L’intégrité territoriale, tout ça, faut pas rigoler avec. Regarde, moi non plus j’ai pas molli pour Hong-Kong et je lâcherai rien pour Taiwan.
VP : T’as raison. C’est la base de notre légitimité.
XJP : D’ailleurs, à propos d’intégrité territoriale… y en a chez nous qui aimeraient bien, à l’occasion, qu’on rediscute de ce que vous nous avez carotté en 1860* en Sibérie… en Mandchourie… tu te souviens ?
VP : Ah, ça !?! Mais c’est de l’histoire ancienne. C’était l’Empire… On va pas raviver les vielles plaies…
XJP : Peut-être mais vous nous avez quand même engourdi cinq fois la taille de la France en pensant que ça passerait mousse et pampre. Ce serait gentil que tu fasses un petit geste. Pour toi, c’est comme qui dirait indolore et nous, ça pourrait nous mettre dans de bonnes dispositions. Je te rappelle que ton pays est peut-être deux fois plus grand que le mien, mais le mien est dix fois plus peuplé que le tien…
VP : Ecoute, c’est un conflit gelé...
XJP : Ben justement, avec le réchauffement climatique, ça se dégèle. Et rudement vite, même. Y a des nouvelles routes qui se dessinent au nord et pour l’instant, le terrain est surtout occupé par les Canadiens, les Américains, les Norvégiens et autres malotrus. Tu voudrais tout de même pas qu’un jour ils se mettent à manquer de respect à tes brise-glaces ! Crois-moi. Tu lâches un peu sur ces espaces peuplés de yacks et de caribous et tu t’offres une protection sur une zone où il va bientôt falloir jouer des coudes. Faut prévoir et vaut toujours mieux être à deux sur une bonne affaire que seul sur une mauvaise.
VP : Confucius ?
XJP : Non, Jean-Pierre Raffarin ! Alors, on règle ça entre gentlemen et on s’occupe de vider vos stocks.
VP : De Vladivostok ?
XJP : Mais non, détends-toi. De vider vos stocks de vieilles armes. Pour les renouveler. Avec les nôtres.
VP : Ah oui ! Alors finalement, tu veux bien ?
XJP : Allons, Vlad, entre camarades, tu sais bien que je ne peux rien te refuser.
VP : Merci JP. Et puis, tu m’expliqueras aussi comment vous faites, vous les Chinois, pour gagner des guerres sans livrer bataille. Parce que nous, en ce moment, comment dire… Bon, bref, c’était super bien organisé tes jeux de Pékin !
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* Traité inégal d’Aïgoun (1858) et Traité de Pékin (1860) par lesquels la Chine était contrainte de céder à l’Empire russe la Mandchourie extérieure jusqu’à Vladivostok, aujourd’hui port le plus important de la côte pacifique et de l’Extrême-Orient russe.
La chronique “étude de caractères” est animée par Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées, il a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.