BYD ou la stratégie du «saut de grenouille»
Au lieu de chercher à rattraper leur retard dans l’industrie d’hier, les constructeurs chinois se sont focalisés sur celle de demain, avec une dimension de pari désormais payant.
Savez-vous qui est le premier producteur de voitures électriques au monde ? Non, ce n’est pas Telsa, la société d’Elon Musk, qui est assurément la plus connue. Tesla a été détrônée cette année par le chinois BYD, bien moins connu en dehors de la Chine que son rival américain, mais dont la montée en puissance en fait un géant de ce secteur devenu stratégique.
BYD, acronyme de « Build your dreams », a été fondée en 1995 par Wang Chuanfu, qui avait racheté un constructeur automobile d’État en faillite. A 56 ans, Wang est aujourd’hui multimilliardaire, 22ème fortune chinoise, une des 100 premières mondiales. En 2008, cet homme aux fines lunettes et aux costumes stricts, a su séduire un investisseur de poids, l’américain Warren Buffet, qui a misé 232 millions de dollars sur cet entrepreneur chinois à la stratégie visionnaire : le véhicule électrique.
Il y a dix ans, le « New York Times » publiait un article compatissant pour Warren Buffet et son investissement dans BYD, soulignant que le Chinois accumulait les déboires, et avait choisi une stratégie bien risquée en misant tout sur l’électrique… La suite lui a évidemment donné tort puisque la Chine est devenue le premier marché de la voiture électrique (7 voitures électriques sur 10 vendues dans le monde en 2022 l’ont été en Chine), et que l’Europe et les États-Unis ont programmé la fin des véhicules à énergie fossile. BYD produit déjà des batteries électriques en quantités spectaculaires, y compris pour Tesla, deuxième producteur au monde juste derrière son compatriote CATL. C’est désormais un fabricant de véhicules parti à l’assaut du monde après avoir conquis la Chine.
Le virage technologique change la géopolitique des constructeurs automobiles. Tesla avait déjà chamboulé la hiérarchie des constructeurs en remportant son pari de la voiture électrique ; mais la Chine, totalement absente du top-10 des constructeurs automobiles, va nécessairement placer une ou deux marques dans le classement mondial de l’ère électrique – et BYD, que certains analystes qualifient de « Toyota chinois », sera sans nul doute l’un des vainqueurs. La stratégie du « leap-frogging », le « saut de grenouille », s’est révélée une nouvelle fois payante : au lieu de chercher à rattraper leur retard dans l’industrie d’hier, les constructeurs chinois se sont focalisés sur celle de demain, avec une dimension de pari désormais payant. Warren Buffet a eu du nez, lui qui voit son investissement dans BYD multiplié par plus de trente fois.
Pierre Haski est journaliste, spécialiste des relations internationales. Il chronique chaque matin dans la Matinale de France Inter et à l’Obs. Il est Président de Reporters Sans Frontières.