Cap sur l'Ukraine
Xavier Niel, Henri Seydoux, Arnaud Dassier, Nicolas Dufourcq...les personnalités de l'innovation investissent le territoire
La French Tech va-t-elle devenir une Startup Nation ? C’est en tout cas la dynamique voulue par le Président Macron au moment de son élection. Et une partie de l’écosystème tech français est en train de le matérialiser. À commencer par les investisseurs et entrepreneurs de premier rang, dans les technologies dites “duales”.
Le 27 septembre dernier, la banque publique d’investissement, Bpifrance, a annoncé un investissement de 10 millions d’euros dans l'Ukraine Phoenix Tech Fund (UPTF), un fonds d’investissement piloté par Dominique Piotet (mon interview d’avril dernier), pour investir dans des startups tech en phase d’amorçage.
Le Fonds UPTF bénéficie par ailleurs du soutien de la banque européenne (BEI) à hauteur de 15 millions d’euros, et de Proparco, une branche de l’Agence française du développement (AFD) à hauteur de 5 millions d’euros.
Mais c’est surtout l’engagement direct d’Henri Seydoux (2,5 millions d’euros dans le Fonds UPTF), qui marque un tournant visible dans les orientations de la France vis-à-vis de l’Ukraine, en guerre depuis plus de 3 ans. Henri Seydoux est le fondateur des drones Parrot, une société créée en 1994. Ce dernier ne souhaite pas commenter ce nouvel investissement, mais confirmait bien, dès 2023, que “l’actualité de Parrot était liée à l’Ukraine”.
C’est une évidence pour l’entrepreneur français que d’investir dans des solutions de drones : connectivité, composants, software appliqué, système anti brouillage. Bref, toute l’artillerie qui fait l’efficacité des ces objets volants et qui mobilisent toutes les attentions de l’OTAN. Et bien sur de poursuivre la trajectoire militaire de Parrot, qui n’était destiné au départ qu’au grand public.
Du côté d’UPTF, on assure que la defensetech n’est pas à l’agenda des thèses d’investissement.
“On n’ira pas sur les projets defensetech, seulement des solutions dual-use" - c’est à dire des startups qui ont un produit d’innovation avec une capacité d’adresser un enjeu militaire-Nldr, “On fera du cas par cas”, me précise Dominique Piotet.
Mais à l’heure où la menace de drones ennemis sur l’Europe (Munich, Copenhague etc…), on se demande tout de même dans quel but les banques et investisseurs français misent sur l’écosystème ukrainien. Les opportunités à prendre dès maintenant, en vue de la reconstruction de l’Ukraine ? La recherche de solutions rapides à industrialiser, dans ce pays désormais qualifié de “Defense Tech Valley” ? Les deux à la fois …?
Quoiqu’il en soit, Nicolas Dufourcq, le patron de Bpifrance, a fait le déplacement à Lviv le 27 septembre dernier, et fait l’annonce du co-investissement lors de l’événement IT Arena, l’un des grands temps forts de la Tech ukrainienne (lire mon reportage à Lviv avec l’un des responsables de l’IT Cluster et organisateur de l’événement). Il était aux côtés de Mykhailo Fedorov, ministre de la transformation numérique de l’Ukraine, à l’origine de Brave-1, une cellule spécifique du gouvernement de Volodymyr Zelensky chargée d’organiser et fédérer tout l’écosystème innovation autour des urgences de défense.
Dans ce qui est aujourd’hui à considérer comme une greffe concrète de l’investissement français en Ukraine, c’est la présence lors de l’annonce de l’envoyé spécial de l’Elysée Pierre Heilbronn, chargé de la reconstruction de l’Ukraine.
Une greffe qui avait déjà pris en 2024, quand Xavier Niel avait acquis l’opérateur Lifecell, le troisième opérateur mobile ukrainien auparavant détenu la holding turque de télécommunications Turkcell, et de Datagroup-Volia, le leader de l’internet fixe et de la télévision payante du pays. Une opération stratégique de 435 millions d’euros, rendue possible grâce au prêt accordé par la banque mondiale et la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
Entre défricheurs de technologies made in Ukraine, candidats à la future reconstruction du pays, les personnalités sont de plus en plus nombreuses à soutenir l’investissement direct ou indirect dans le pays en guerre. C’est le cas d’Arnaud Dassier, entrepreneur et investisseur, qui vient de rejoindre en tant que partner Dronivka, une société ukrainienne de drones créée en 2022 au moment de l’invasion russe. Dassier est déjà investisseur dans Skyfly, une société britannique qui conçoit des avions électriques capables de vols à la verticale.
Il faut dire que l’Ukraine est en passe de devenir non pas seulement une terre fertile de production massive de drones, mais aussi une terre fertile en produits d’exportation. Le président ukrainien a annoncé une stratégie de vente vers Europe et vers les Etats-Unis de ses innovations, notamment des drones capables de voler jusqu’à 3000 km. Pour cela, Zelensky appelle à davantage de joint ventures, autrement dit des accords financiers pour soutenir la demande des clients. Une production de drones et de missiles estimée à 30 milliards d’euros l’année prochaine.
Reste à coordonner Bercy, la DGA (Direction Générale de l’Armement), et toutes les parties prenantes de l’industrie militaire en France. Sans oublier de nommer, et faire durer, un Premier Ministre…
Marion Moreau