ChatGPT est-il(elle ?) capable de faire la paix en Ukraine ?
Depuis l’apparition de ChatGPT, chacun y est allé de sa petite expérience, posant une requête drôle, inattendue, ou complexe à l’intelligence artificielle, star du moment. J’y ai moi-même cédé, demandant à ChatGPT d’écrire une chronique de France Inter que j’avais déjà rédigée. Le résultat fut intéressant en termes d’informations et de cohérence, mais décevant sur le plan de l’opinion : ChatGPT n’est pas capable de faire un éditorial avec un point de vue (ouf…).
La plus incongrue des requêtes que j’aie vu passer est venue d’un journal allemand, qui a demandé à ChatGPT de rédiger un plan de paix pour l’Ukraine ! Si le but avait été de prouver que, parfois, l’esprit humain garde toute sa pertinence, c’était gagné. Le plan de paix en question n’avait aucune chance de passer auprès des belligérants : il reprenait en partie les termes des Accords de Minsk qui n’ont jamais pu être mis en œuvre, et, surtout, il ignorait tout ce qui s’est passé depuis un an et qui complique singulièrement la négociation.
Comment aurait-il pu en être autrement ? ChatGPT n’est pas doué d’imagination, et n’est pas susceptible de trouver des solutions, des montages juridiques, politiques, militaires ou simplement humains qui n’ont jamais existé. Or l’art de la diplomatie, dans un conflit aussi complexe que celui-ci, où le poids de l’histoire et de la géographie pèse lourd, sera, le jour venu, d’imaginer des solutions inédites. L’IA peut-elle aider ? Sûrement ! Mais il y a une part de travail de fourmi, dans le chemin qui mène à un processus de paix, que le logiciel le plus sophistiqué ne remplacera jamais.
J’ai eu l’occasion d’organiser en janvier dernier une table ronde au Centre Pompidou sur les processus de paix. J’avais invité une ex-diplomate professionnelle et les représentants d’ONG spécialisées dans les négociations. Leurs témoignages étaient particulièrement éloquents : ils ont raconté la phase où les belligérants ne se parlent pas, où seules les ONG peuvent parler à tout le monde, y compris au « diable »… Dans cette phase, il s’agit de comprendre ce qu’il y a dans la tête des acteurs d’un conflit, quelles sont leurs lignes rouges, quels sont les points négociables, qui ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Ce travail préalable est indispensable pour le jour où… Le jour où on pourra s’asseoir à une table de négociations, et commencer à discuter point par point, un possible règlement. C’est à ce moment que l’imagination des diplomates et des juristes peut faire des miracles, en proposant des solutions inédites à des problèmes complexes de frontières, de réfugiés, de sécurité, de calendrier. Ca demande du savoir-faire, du doigté, de la patience, et une bonne dose … d’humanité ! Pas étonnant que l’une des institutions les plus efficaces en termes de diplomatie parallèle soit liée … au Vatican.
En lisant le plan de paix de ChatGPT, je me disais que c’était un bon exemple de ce qu’il ne fait pas attendre d’une IA. Et, de ce point de vue, la leçon était réussie, même si ce n’était visiblement pas l’intention du journal allemand qui voulait juste faire un « bon coup » ! Alors que ChatGPT a mis l’IA dans le domaine du grand public, il va y avoir besoin de pédagogie sur ce qu’il faut attendre de la technologie, et ce qu’il serait absurde de lui demander. Il n’y a pas que la machine qui fasse du « learning » : nous autres, modestes humains, devons aussi apprendre à vivre avec l’IA, sans en attendre autre chose que ce qu’elle peut nous apporter.
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France et Inter et à l’Obs, ancien correspondant pour Libération en Chine. Il est Président de Reporters Sans Frontières.