不好意思 - Bù hǎoyìsi
Poux rats haut hissent œufs ! Voilà. Répétez d’une traite, mais sans précipitation.
L’expression signifie : « Je suis confus, je suis désolé, navré… », mais avec un corollaire implicite qui est : « Merci de votre compréhension (et accessoirement) de votre aimable coopération ». Formule de politesse destinée à exercer sur son interlocuteur une sorte de contrainte douce, elle traduit la gêne occasionnée par une action risquant d'être perçue comme désagréable, inopportune ou intrusive, et pour laquelle on escompte de sa part une réaction mesurée ou même idéalement, de soumission. La locution traduit le malaise presque coupable de celui qui importunerait un supérieur légèrement sourcilleux. Quelle subtilité et quelle délicatesse, me direz-vous.
Mais en réalité l’intérêt de cette formule réside dans la diversité des situations où l’on peut l’employer.
On l’entendra murmurée lorsqu’une personne courtoise et éduquée voudra se faire pardonner de devoir prendre la parole. Elle signifiera alors, non pas simplement : « Navré(e) de vous interrompre », mais plutôt : « Insecte misérable, cafard immonde sur la face radieuse de la terre, j’ose tourner vers votre auguste personne mon vil regard et, risquant 1000 fois la mort, attirer votre précieuse attention sur le fait que le potage est en train de refroidir. » On mesure, dans ce cas, combien la formule infériorise le locuteur et piedestalise le destinataire.
A l’inverse, et c’est son grand mérite, cette locution a des vertus libératoires exceptionnelles. Les Autorités chinoises y recourent avec le même naturel pour vous annoncer indifféremment que votre vol est annulé au dernier moment, que votre domicile a été soufflé par l’explosion d’une usine chimique, que votre banque refuse arbitrairement de vous rendre votre agent, ou que votre enfant s’est suicidé du haut d’un pont en compagnie de 4 autres jeunes inconnus. Il ne s’agit pas de s’excuser (ça n’engage pas) mais seulement de vous dire qu’on est désolé et qu’on compte sur vous pour garder votre calme sinon, « Poux rats haut hissent œufs », vous risquez de vous attirer des ennuis supplémentaires.
Amis de la Liberté, permettez-moi ce conseil salvateur : surtout, travaillez bien votre prononciation car vous détenez là le sésame absolu, la formule magique par excellence qui vous ouvrira en Chine le monde des possibles sans que rien ni personne ne vous résiste. Croyez-moi, vous allez adorer.
Alors, please, repeat after me : « Poux rats haut hissent œufs ! »
Études de caractères, la chronique de Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées. Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.