Gengis Khan, la Chine et l’uranium, une fable moderne
Un spectaculaire rapprochement franco-mongol est en train de se produire...
Il arrive parfois que des intérêts très différents convergent : économique, géopolitique, culturel, historique… C’est cette « combo » idéale qui préside au rapprochement inattendu, et qui passe quelque peu inaperçu en raison des drames de ce monde, entre la France et la Mongolie.
C’est une histoire en plusieurs épisodes. Pour commencer par l’actualité, le président de la République de Mongolie, Ukhnaagiin Khürelsükh, inaugure ce vendredi 13 octobre, au Château des Ducs de Bretagne à Nantes, une exposition intitulée « Gengis Khan, comment les Mongols ont changé le monde ». Jusque-là, rien d’extraordinaire.
Il fait remonter trois ans en arrière pour comprendre. Une expo portant le même titre était prévue au magnifique Château de Nantes. Elle était organisée en partenariat avec le musée de Hohhot, la capitale de la Mongolie intérieure, province chinoise.
Attention pour les nuls en géographie : ne pas confondre la Mongolie intérieure chinoise, dans laquelle les Mongols ne sont plus que 17% des 23 millions d’habitants, et la République de Mongolie, État souverain, coincé entre la Chine et la Russie, et qui compte un peu plus de trois millions d’habitants, dans leur immense majorité des Mongols, plus quelques minorités ethniques, tibétaines et d’Asie centrale.
L’expo de Nantes était bien avancée quand le musée de Hohhot a exigé des Commissaires de l’expo qu’ils retirent le nom de Gengis Khan et la référence aux Mongols du titre… Consternation à Nantes, car faire une expo sur Gengis Khan et les Mongos sans parler de Gengis Khan et des Mongols a quelque chose d’irréel. Les Nantais ont eu la réaction la plus saine et la plus courageuse, ils ont tout annulé, malgré le travail accompli. Les raisons de la demande chinoise sont aisées à comprendre, il s’agit d’effacer l’identité mongole de la … Mongolie intérieure, au profit d’une identité chinoise plus uniforme. Depuis des années, Pékin s’alarme d’un irrédentisme mongol contraire à la pensée centralisatrice du Parti.
Cette annulation a provoqué une extraordinaire mobilisation autour de ce projet d’expo. Et c’est le musée d’Oulan Bator, la capitale de la République de Mongolie, qui a pris le relais, aidé par plusieurs musées dans le monde disposant d’un patrimoine culturel lié à l’histoire mongole, dont celui de Taipei, des musées américains, des collectionneurs privés. Débouchant sur une grande expo qui ouvre le 14 octobre au public nantais et qui reprend le titre initialement prévu. Un pied de nez sans précédent à une pression de diplomatie culturelle chinoise à l’allure hégémonique, qui a subi à Nantes un échec retentissant.
Cet épisode serait suffisant en soi pour être intéressant. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Parallèlement, un spectaculaire rapprochement franco-mongol se produit. Certains observateurs s’étaient étonnés de l’escale effectuée par Emmanuel Macron à Oulan Bator en mai dernier, sur le chemin du retour du Sommet du G7 à Hiroshima. Il était le premier président de la République française à fouler le sol mongol ! On aura compris l’enjeu lors de la visite d’État à Paris du président mongol, cette semaine : au milieu des cérémonies et d’un dîner de gala à l’Élysée où le chœur de la Garde républicaine a chanté des airs d’opéra mongol, il y avait un enjeu stratégique majeur : Orano, la société minière française, a signé un protocole d’accord avec la Mongolie en vue de l’exploitation d’une mine d’uranium, à Zuuch Ovoo, dans le sud-ouest du pays. Une mine qui, à terme, pourrait représenter l’équivalent en production du … Niger !
Cela fait une quinzaine d’années que les Français et les Mongols parlaient d’un accord, sans réellement progresser. Le réchauffement en cours a accéléré les choses. Et la France va participer à l’aventure minière de ce vaste pays au sous-sol si riche : selon le président mongol, 80% du sous-sol de son pays n’a pas encore été sondé, ce qui ouvre des perspectives gigantesques dans un pays grand comme deux fois la France pour à peine trois millions d’habitants. Dans la quête des minerais de la transition écologique, cet axe franco-mongol peut s’avérer fructueux.
Les relations avec la Mongolie ont débuté avec l’expédition de Guillaume de Rubrouck, au XIII° siècle, pour le compte de Saint Louis ! Le missionnaire et explorateur flamand s’était rendu à Karakorum, la capitale de l’empire mongol. Huit siècles plus tard, Ukhnaagiin Khürelsükh se rend à Nantes, c’est assurément plus facile, mais symboliquement tout aussi puissant, pour faire un pied de nez culturel à son grand voisin chinois, et nouer au passage une relation stratégique au parfum d’uranium avec un pays européen. Je vous l’avais dit, des intérêts très divers convergent dans cette fable franco-mongole !
Pierre Haski