战争 - Zhànzhèng
Le Russe est rustaud.
Il méprise sa vie autant que celle des autres.
Quand il est contrarié, il guerroie. Il envahit, il bombarde. Parfois, il extermine.
Il est un peu soupe-au-lait.
A l’opposé, le Chinois est d’un raffinement exquis. Il ne méprise que la vie des autres et accorde généralement grand prix à la sienne propre.
C’est pourquoi, quand il veut quelque chose, il intrigue, il manœuvre, il séduit, il circonvient, il embobine, il intimide.
Veut-il hâter sa victoire ? Il darde sur sa cible des regards féroces de guerrier d’opéra de Pékin. Mais il reste courtois.
Quand il est vraiment d’humeur bourrue, il menace, il gesticule pour calligraphier avec grâce dans l’air les caractères du courroux maîtrisé. Au comble de l’irritation, il fait force de démonstrations de Kung-fu contre des ombres censément effrayées. Habituellement, ça suffit pour impressionner son interlocuteur qui renonce en se disant qu’il l’a échappé belle.
Mais fondamentalement, il n’est pas belliqueux. Il aime la vie. Il est trop jouisseur, individualiste, désorganisé, bordelogène et cynique pour risquer sa vie sans une raison dirimante. Ce n’est pas de la lâcheté. C’est de l’hédonisme.
De plus, il a tellement été bercé par la sagesse du grand stratège Sun Tsu* (je n’en connais pas d’autre depuis le XXVIIe siècle avant Xi Jinping), qu’il est persuadé qu’on ne gagne une bataille qu’à condition de ne pas la livrer.
Pour conduire ce peuple si intrinsèquement libertaire à une si sanglante extrémité, il lui faudrait, simultanément, une telle contrainte extérieure, une telle motivation intrinsèque, une telle confiance en son commandement et une telle foi en la victoire, que même avec les nuages qui s’amoncèlent au-dessus du détroit de Taiwan, le pire ne me semble pas certain. Non seulement les Chinois sont des hommes, mais en plus ce sont des enfants uniques dont les parents feront tout pour qu’ils n’aillent pas au casse-pipe.
Naturellement, si dans les semaines qui suivent la publication de cette chronique visionnaire, des échanges de missiles balistiques se produisaient entre la marine chinoise et la 7è Flotte, je vous autoriserais à profiter du temps qu’il vous reste, pour vous moquer de moi, avant notre vitrification commune.
* Né vers 540 avant notre ère et auteur du fameux traité « L’art de la guerre »
Études de caractères, la chronique de Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées. Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.