Heureux comme un actionnaire de Naspers!
Au menu cette semaine : Panique dans le quantique, TikTok une affaire d'affaires publiques, Taïwan veut son Starlink...
Taïwan veut son Starlink
L’île, sous menace de guerre avec la Chine, serait en discussion avec des investisseurs internationaux pour créer sa propre constellation de satellites en orbite basse, selon les informations du Financial Times. Une volonté de coller au modèle de l’entreprise Starlink piloté par Elon Musk, qui joue un rôle prépondérant dans la guerre en Ukraine. Taïwan se prépare donc à créer une spin-off via son agence spatiale nationale, baptisée TASA.
La Ministre du Digital taïwanaise Audrey Tang confirme d’ores et déjà l’utilité de disposer d’une infrastructure en orbite basse, autrement dit “Low Earth Orbit”. Ce type de constellation permet à un satellite de parcourir la Terre en 128 minutes, à 2000 km d’altitude. Tang ne cache pas son inspiration dans le modèle de défense urkrainienne de pouvoir informer le reste du monde, notamment en cas de catastrophe à grande échelle, par l’envoi de vidéos et de messages.
Le LEO à l’agenda de l’agence des télécoms de l’ONU
L’agenda du prochain Sommet de l’International Telecommunications Union, agence de l’ONU qui réunira ses 193 membres à Dubaï en septembre prochain, confirme un volet important sur l’évolution des standards du spatial et notamment du LEO (Low-Earth orbit). Les comités des pays membres ont rédigé des notes qui visent à augmenter la capacité des fréquences allouées aux communications spatiales, notamment sur les infrastructures en orbite basse.
Le Sud-Africain Naspers récolte les fruits de son pari chinois, par Pierre Haski
Heureux comme un actionnaire de Naspers ! Ce proverbe sud-africain n’existe pas, mais il devrait être inventé… Le groupe de presse sud-africain Naspers (Nasionale Pers en afrikaans), sont en train d’engranger littéralement des milliards de dollars grâce à une décision de génie prise il y a plus de vingt ans par son « sauveur ».
L’histoire est peu connue, mais Naspers, autrefois un groupe de presse qui défendait l’apartheid (il a présenté des excuses en 2015…), a investi en 2001 dans un obscur (à l’époque…) groupe technologique chinois en difficulté : Tencent. Koos Bekker, un entrepreneur sud-africain, avait été appelé à la rescousse par Naspers en 1997 pour trouver un nouveau modèle économique à la fin de l’apartheid : il décida d’investir dans des start-up dans les pays émergents. En 2001, il investit donc 32 millions de dollars pour sauver Tencent, devenu depuis un géant chinois (il a notamment lancé l’appli incontournable WeChat), et dont la valorisation s’est envolée : en juin dernier, Naspers contrôlait encore 28,8% de Tencent (après un sommet de 33,3% du capital), soit la coquette somme de 128 milliards de dollars.
Naspers vend doucement des actions de Tencent et de ses filiales, pour créer de la valeur pour ses actionnaires et investir dans d’autres start-ups. Environ 2% de la participation de Naspers a été vendu dernièrement, profitant de la remontée des cours suite à la fin de la politique de zero Covid en Chine, mais aussi de l’apaisement des tensions entre le gouvernement de Pékin et les grands groupes tech chinois. Et ça va sans doute continuer, sans déstabiliser le marché, mais au plus grand bonheur des actionnaires de Naspers, et de sa holding Prosus, enregistrée à Amsterdam.
Au plus grand plaisir, aussi, de son ex-PDG Koos Bekker, qui avait eu la grande idée de refuser un salaire à son arrivée à la tête du groupe en difficultés, et de négocier à la place un pourcentage sur les profits à venir… Une biographie de Koos Bekker vient de paraître en Afrique du Sud, tout simplement intitulée « Billions » (milliards) ! Milliardaire, en effet, Bekker s’est retiré sur sa spectaculaire propriété de 200 hectares à Franshoek, dans la région du Cap, la zone viticole. Il est devenu l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud, et son histoire fait partie des légendes que l’on enseigne dans les écoles de commerce…
Panique dans le quantique
Des chercheurs chinois ont publié le 23 décembre dernier un article scientifique dans lequel ils affirment avoir trouvé un moyen de casser le chiffrement RSA (du nom des inventeurs Ron Rivest, Adi Shamir et Leonard Adleman) au moyen de l’informatique quantique. Une annonce qui inquiète la communauté mondiale, puisque le chiffrement RSA est à la base des informations confidentielles échangées sur Internet. L’enjeu du “déchiffrement” représente bien une menace sur le système de sécurité actuel. Mais est-ce réellement une annonce qui peut changer la donne ? Éléments de réponse avec Olivier Ezratty, expert en informatique quantique:
Faut-il prendre au sérieux cette annonce scientifique ?
Pour moi la réponse est non. Le principal problème dans cette publication est que l’algorithme publié par les Chinois ne donne aucune information sur le temps de calcul. C’est un sérieux problème. Ensuite, ces chercheurs disent avoir testé l’algorithme sur 372 Qbits, alors qu’IBM a récemment annoncé l’avoir testé sur 433 Qbits. Mais cela ne tient pas compte de la marge d’erreur qu’il faut comptabiliser sur chaque opération et qui ont été prises en compte par IBM, pas côté chinois. La communauté des experts en quantique est donc très prudente sur cette annonce.
Y a t-il une raison géopolitique à ce type d’annonce ?
Oui je le pense, je me suis aussi posé la question de la raison d’un tel article scientifique. Ma première hypothèse c’est ce qu’on appelle le Fear, uncertainty and doubt. C’est une technique bien connue censée créer un syndrome de panique. Le contexte l’explique aussi: Joe Biden a validé il y a quelques jours une loi qui vise a accélérer le déploiement de la cryptographie post quantique dans l’administration fédérale. Ce type de cryptographie vise justement à se défendre contre ce type d’algorithme qui casserait les clés de chiffrement RSA. J’y vois un lien de cause à effet. En sortant ce genre de papier, la Chine vise probablement à créer une réaction du côté des spécialistes en cyber sécurité, pour qu’ils aient l’impression que le risque est plus immédiat qu’il y paraît, donc il faut accélérer le déploiement des nouvelles technologies, et cela crée la zizanie.
Et la France ?
Lors de sa récente visite à la Maison-Blanche, Emmanuel Macron a aussi montré les muscles en matière quantique avec la transmission, le 30 novembre dernier, du premier télégramme diplomatique en cryptographie post-quantique, réalisé entre l’ambassade française et l’ambassade américaine.
TikTok : une affaire d’affaires publiques
Le réseau social a recruté des profils très spécifiques pour étendre son influence. Une stratégie répandue et historique dans le secteur des Big Tech.
Supprimer les comptes TikTok des smartphones d’agents gouvernementaux. Le couperet est tombé le 27 décembre dernier et c’est la Chambre des Représentants qui l’a décidé, sans appel. Une politique de censure par étapes qui vise à freiner l’expansion de la plateforme de vidéos chinoise sur le territoire américain. Une expansion qui passe par des actions fortes de lobbying, menées par la maison-mère ByteDance, surtout depuis sa condamnation en 2019 pour avoir illégalement collecté des données de mineurs de moins de 13 ans. Un coup dur à l’époque qui avait poussé l’entreprise chinoise à recruter le puissant Kevin Mayer, ancien chairman de Disney.
L’interdiction d’utiliser TikTok par l’administration Biden à TikTok à son personnel sonne comme un paradoxe, compte tenu de la transparence des budgets de lobbying, et surtout des profils d’employés engagés par ByteDance. Nous avons fait un petit tour sur les profils d’employés. Michael Beckerman est vice-Président de TikTok, il a auparavant dirigé la puissante Internet Association et officié pour le gouvernement américain. On trouve aussi des anciens de la Chambre des Représentants, du Sénat, et d’autres instances étatiques.
En Europe, quelques profils sont aussi passés par les couloirs officiels, ambassades, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), et même Cabinet du Premier Ministre britannique.
En France et chez d’autres Big Tech, le casting raisonne selon la même logique. Anton'Maria Battesti le Directeur des Affaires Publiques chez Meta (Facebook), est passé auparavant par la CNIL et le Ministère des Affaires Etrangères et a conduit une mission pour l’ICANN, organe chargé des noms de domaines.
Loin d’être une surprise, les actions engagées par les “Big Tech” en matière de lobbying sont cependant très significatives. Des budgets qui dépassent ceux d’autres industries comme le pharmaceutique ou le pétrole. Facebook avait dépensé 20 millions de dollars en 2021 sur son sol, un record qui a dépassé le budget de Boeing. TikTok a lui aussi augmenté son budget, passant à 1 millions de dollars rien que sur l’été 2022.
Aux USA, alors que la guerre techno-économique avec la Chine avait pris une tournure particulière avec l’affaire Huawei et l’arrestation de la fille du Directeur Financier du groupe telecom chinois au Canada, “l’affaire TikTok” ne fait que commencer. Les employés de TikTok USA vont avoir davantage de pain sur la planche du lobbying.
治理 - Gouvernance
La chronique chinoise de Bruno Gensburger
La singulière stratégie Zéro-covid du gouvernement chinois avait deux objectifs essentiels : protéger sa population (et accessoirement le reste du monde) et démontrer que les régimes autoritaires sont supérieurs aux démocraties déclinantes et inefficaces. Mais ulcérés par les dégâts et l’inhumanité de cette politique, les Chinois ont découvert, en regardant les tribunes du Mondial de football à la télévision, que le reste du monde vivait normalement. Sous la pression de la rue indignée, le Gouvernement chinois arc-bouté depuis trois ans sur ses dogmes, s’est subitement relâché comme un ventre pour abolir dans une volte-face inédite, toutes les restrictions sanitaires dont il affirmait la nécessité la veille.
Résultat, 250 millions de contaminations en trois semaines sur une population peu et mal vaccinée. Il s’agit désormais, annoncent les responsables, de relancer l’économie. Mais les Chinois, déboussolés n’osent plus sortir, les usines sont à l’arrêt, les médicaments manquent. Pour faire bonne mesure, les statistiques quotidiennes qui ont fait état de 2 à 7 morts dans les premiers jours du relâchement, ne sont plus publiées. Les hôpitaux sont pris d’assaut et les incinérateurs ne parviennent pas à satisfaire la demande. On se croirait revenus à la même impréparation des premiers jours de l’épidémie alors même que trois années ont passé. Est-ce pour autant une défaite ? Nullement ! “Puisque ces événements nous dépassent, disait Cocteau, feignons d’en être les organisateurs”. Voilà peut-être l’esprit du prochain opus de Xi Jinping sur la Gouvernance dans lequel il vantera sans doute les mérites d’un concept révolutionnaire : la politique du chien crevé au fil de l’eau.