Hiroshima – Guǎngdǎo - 广岛
Evoquant la clôture du sommet du G7 qui s’est tenu à Hiroshima, l’édition des Echos du 22 mai rapporte que selon une source américaine, (je cite):
Les Français sont particulièrement intervenus pour adoucir les communiqués (pointant du doigt la Chine - NdA). « Il ne faut pas de naïveté mais il ne faut pas non plus d’escalade », a justifié, dimanche le président Macron. Notant que la communauté internationale aura besoin de la coopération de Pékin sur tous les grands enjeux multilatéraux, comme le conflit en Ukraine, la transition climatique ou encore un usage « responsable » de l’intelligence artificielle, sur laquelle le G7 a demandé la mise en place d’un groupe de travail. Le Chef de l’Etat a expliqué qu’il ne voulait pas envenimer inutilement les relations avec le régime. « Si nous envoyons le message qu’il y a un ennemi et que nous cherchons une désassociation complète, nous allons créer en quelque sorte, de manière autoréalisatrice une accélération de l’histoire. » Les 7 ont évoqué la mise en place d’une plateforme de coordination sur la coercition économique pour mieux apprécier son ampleur et les capacités de dissuasion des membres du G7. Malgré le peu de mordant de cette initiative, conclut le journaliste, Pékin a exprimé son vif mécontentement.
Pour ceux qui l’ont lu, comment ne pas rapprocher cet extrait du merveilleux « Tableau analytique du cocuage » de Charles Fourier publié il y a exactement 200 ans* !
Oserai-je dire ici que le président Macron, en dépit d’une lucidité sur la Chine bien supérieure à celle de ses prédécesseurs, m’évoque le profil N° 35 : Le Cocu orthodoxe ou endoctriné est le catéchumène du métier. C'est celui qui a la foi, qui croit aux principes et aux bonnes mœurs, pense avec les gens de bien que les libertins en disent plus qu'ils n'en font, qu'il reste plus d'honnêtes femmes qu'on ne pense, et qu'il ne faut pas croire si légèrement aux mauvais propos. Il a bien eu quelques soupçons, mais ayant été bien entouré, bien catéchisé, il est décidé à croire aux vrais principes du métier, et met toute son espérance dans le bon naturel de son épouse et l'influence de la morale.
Si j’osais immodestement compléter l’irrésistible catalogue de Fourier, je rajouterais (et le tout de mon crû) Le cocu benêt : seul à ignorer son infortune, il persiste par 1000 délicatesses à ménager son rival, alors même que chacune de ses attentions ne fait qu’exciter ses coupables ardeurs et hâter le sort redouté.
Sérieusement, comment croire encore à la volonté de coopération de la Chine avec les Occidentaux en multilatéral sur l’Ukraine, le climat et l’IA, alors que tout nous sépare sur ces dossiers ?
Pourquoi craindre d’afficher une « désassociation » alors que le PCC l’a initiée unilatéralement depuis 2013 avec le fameux Document N°9** qui marquait un changement paradigmatique de la trajectoire du pays ?
Pourquoi craindre une accélération de l’Histoire quand l’ambassadeur de Chine en France, lors de son interview du 21 avril dernier sur LCI, nous révèle avec une longueur d’avance sur ses dirigeants, la psyché de la Chine pour la Nouvelle ère ?
Il ne faut pas envenimer les relations inutilement, nous dit Emmanuel Macron. Soit ! Mais ne craignons pas de les envenimer utilement, pour marquer clairement et collectivement les limites du tolérable, tant en matière d’ingérences, que de coercition économique ou de militarisation chinoise de l’Asie-Pacifique.
Il ne s’agit pas ici de céder à un manichéisme reptilien pro-atlantiste et anti-chinois, mais bien de construire collectivement un rapport de force qui pousse la Chine à modérer ses ardeurs.
Depuis toujours, elle a su exploiter notre crainte de la froisser. Depuis toujours, son avance s’est nourrie de nos reculades***. Redouter ses protestations (a fortiori pour des communiqués insignifiants), c’est reproduire les erreurs du passé, offrir à la Chine une brèche pour nous diviser au moment où la solidarité occidentale est plus que jamais vitale et lui donner l’impression que ses haussements de sourcils nous impressionnent.
Aussi, par respect pour les 200.000 victimes japonaises, il serait préférable que le nom d’Hiroshima reste associé à l’apocalypse nucléaire plutôt qu’à un grand bal mondain de cocus timorés.
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* Et qui n’a pas pris une ride.
** Élaboré en juillet 2012, le Document N°9 est une liste d’instructions du comité central à l'intention des cadres du PCC citant notamment les 7 sujets interdits : les valeurs universelles, la liberté de la presse, la société civile, les droits civiques, les erreurs historiques du PCC, les collusions capitalistiques au sein du Pouvoir et l'indépendance de l’autorité judiciaire. Ce document sonne la fin des illusions sur la compatibilité des valeurs de la Chine avec celles de l’Occident, désormais considéré comme un bloc hostile.
*** Heureusement que j’écris en prose sinon, je me demande bien ce que j’aurais pu trouver comme rimes riches en « …culade » !
Études de caractères, la chronique de Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées. Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.