Hors Normes #15
Le mot de la semaine : Logiciel
C’est un mot qui n’est que rarement utilisé dans les débats politiques. Et pourtant, c’est comme ça que le Président Macron a été décrit hier soir dans l’émission de Caroline Roux sur France Télévisions : “Macron est un logiciel. Il se comporte comme un algorithme d’intelligence artificielle”, lance un partisan de l’extrême droite devant des yeux interloqués. Alors que notre pays vit un moment très perturbé, qui va de la réthorique politique violente aux démonstrations de colère, il y a ces mots qui arrivent dans les invectives et qui tranchent avec le passé verbeux. On commence tout juste à entendre ce qui est une empreinte laissée par nos usages numériques survenus si rapidement. Et qui pénètre peu à peu dans les multiples couches de notre société.
D’ailleurs, il n’est plus du tout rare de lire sur les pancartes des manifs: “nos destins sont dictés par des algorithmes”. Un slogan qui résume un réel sentiment sur une époque marquée, aussi, par la peur du non-réel.
Le chiffre de la semaine : 22%
C’est le pourcentage d’économie réalisée sur les produits alimentaires vendus au gros sur l’application WhatsApp au Nigéria. Alors que l'inflation dépasse 20% dans ce pays aux 215 millions d’habitants, la classe moyenne créée des groupes WhatsApp pour se partager l’achat de produits alimentaires achetés en vrac directement auprès des producteurs. Une approche qui permet de négocier sans subir les coûts intermédiaires et volatiles. Lire le reportage très détaillé de Rest of World.
Les News
Chine/Semi-conducteurs: “Sortir l’industrie de la misère”
Plus une guerre qu’une compétition, vous-dit-on ! L’industrie des semi-conducteurs chinoise doit “sortir de la misère” confie un membre du gouvernement chinois à quelques fabricants de '“chips”, comme le rapporte le Financial Times dans son article cette semaine. Depuis la mise sur liste noire des entreprises chinoises par les administrations Trump et Biden, Pékin s’efforce de rester dans la course, mais avec difficulté du fait de multiples sanctions imposées au pays, et en ayant trois générations de retard sur le Taiwanais TSMC.
Il fallait donc réagir en diluant moins les investissements, et en misant sur le coeur de l’écosystème innovant : Huawei, SMIC, Naura, Advanced Micro-Fabrication Equipment Inc China devraient donc bénéficier de généreuses subventions, sans limitation de plafond. Pékin a par ailleurs créé une nouvelle commission scientifique au sein du PCC, et musclé son Ministère des Sciences et de la Technologie.
Blocus technologique: Après TikTok, WeChat ?
Un excellent article de Wired fait le pronostic d’un continuum du blocus technologique des applications chinoises. WeChat, plateforme utilisée par 19 millions d’Américains, était déjà dans le collimateur de Donald Trump en 2020. L’app, qui permet bien plus que de discuter d’un continent à l’autre, pourrait bien se retrouver sur la liste noire du Congrès, aux côtés de la marque de fast-fashion Shein, du marché en ligne Temu, ou de CapCut, une app de vidéo propriétaire de ByteDance, la maison-mère de TikTok, dont le patron a été auditionné par le Congrès américain (lire la chronique de Pierre Haski ce matin). Trois projets de loi sont actuellement à l’étude aux USA, dont les noms sont plus qu’éloquents : le Data Act, le Restrict Act et le Anti-Social CCP Act. Des mesures qui visent toute entreprise étrangère qui traitent les données des citoyens américains. TikTok, qui compte 150 millions d'utilisateurs actifs aux États-Unis, n’est probablement que “le ballon d’essai” d’un plan visiblement beaucoup plus vaste…
Internet spatial : Jeff Bezos veut rattraper Elon Musk
Deux titans s’affrontent pour apporter une connectivité Internet à des millions, voire des centaines de millions de personnes sur le globe : Elon Musk, le patron de SpaceX et Jeff Bezos, celui d’Amazon. Ce dernier a maintenant les coudées franches pour son projet baptisé Kuiper, qui n’est ni plus ni moins que le “copycat” de Starlink, à en lire un tweet d’Elon Musk en avril 2019.
En mai prochain, la société Kuiper de Jeff Bezos, qui embauche 1000 personnes, lancera ses premiers satellites de communication, grâce à un investissement de 10 milliards de dollars, et grâce aussi au consentement de la Federal Communications Commission des États-Unis. Amazon prévoit donc de lancer un total de 3 236 satellites Kuiper complets d'ici 2029, en misant sur des fusées de lancement non propriétaires (à l’inverse de SpaceX). Une concurrence frontale avec SpaceX qui dispose d’une longueur d’avance avec 3500 mini-satellites Starlink en constellation, loin devant l’anglais OneWeb qui en dispose de 500.
La guerre spatiale, dans laquelle les petits entrants comme SpaceX ou Kuiper viennent bousculer les géants, inquiète une partie des experts, comme nous l’apprend l’article du MIT Review. Au-delà de la problématique de la pollution spatiale, c’est le risque de collision qui est redoutée : on pourrait compter 20 000 satellites au-dessus de nos têtes d’ici à 2030, rien qu’avec les constellations de SpaceX et Amazon réunies. Certains spécialistes astronomiques craignent aussi que les satellites reflètent suffisamment la lumière solaire au point de poser un problème aux astronomes et même modifier l'apparence de notre ciel nocturne…
Lire l’article complet du MIT Technology Review
Vidéo-surveillance: un “49.3” sur l’IA sécuritaire ?
À voté ! L’Assemblée Nationale a été beaucoup moins agitée par l’approbation d’une loi autorisant l’IA dans les systèmes de vidéo-surveillance à grande échelle que dans la réforme contestée des retraites. Jeudi dernier, l’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques, soutenue par le Sénat, a été donc été validé par l’hémicycle. L’article 7 propose le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones.
Un article qui passe mal pour les Euro-députés
En France, ce type de dispositif était interdit depuis 1995, et encadré sous condition: chaque installation d’une caméra devait en effet être soumise à une autorisation préfectorale. Depuis les attentats de Nice en 2016, la ville de Christian Estrosi a été le territoire d’expérimentations avancées avec l’installation de techniques de reconnaissance faciale, notamment lors du traditionnel carnaval, et qui été élargi depuis. Un dispositif peu préoccupé par le respect libertés fondamentales mais qui a visiblement convaincu les députés qui ont voté l’article de loi.
La phase de test, qui ne concernera pas seulement les JO 2024 de Paris (15 millions de personnes sont attendues), pourra être étendue à “des manifestations sportives, récréatives, ou culturelles”. Le test pourra, en outre, démarrer au moment de la Coupe du monde rugby cet automne.
Malgré vingt-huit garanties prononcées dans la loi, Amnesty International et un collectif d’ONG ont vivement réagi à la menace qui pèse sur la vie privée des citoyens. Amnesty International avait déjà publié un communiqué en janvier dernier, insistant sur le fait que la video surveillance assistée par IA ne montre pas de réels résultats sur la baisse de la criminalité.
La France serait donc le premier pays d’Europe à adopter le système de caméras intelligentes, notamment en “traçant” les individus par les données biométriques, et détecter les “comportements anormaux”, sans que la loi ne précise ce qu’est un comportement anormal. La Commission européenne, qui planche actuellement sur une loi encadrant l’usage de l’intelligence artificielle, n’a pas encore terminé ni les débats ni la rédaction des dispositions. Une quarantaine d’euro-députés avaient écrit à leurs homologues français en leur demandant de ne pas voter l’article 7, qui pourrait amener un risque pour la France d’entrer en conflit avec la future loi européenne, et sans attendre les résultats des débats comme le rapporte le Journal Le Monde.
Le marché de l’IA sécuritaire semble confirmer l’appétit des investisseurs. Dernièrement, la startup XXii a levé 22 millions d’euros pour son service d’analyse video en temps réel. Prelingens, une autre startup basée à Rennes et soutenue par le Fonds du Ministère des Armées Definvest, a décroché en octobre dernier un contrat de 240 millions d’euros auprès de la Direction générale de l'armement (DGA) pour son service de tracking/monitoring militaire.