Hors Normes #18
Guerre du computing: de la pénurie de composants à la guerre hybride...Nobelium a encore sévi en espionnant Ministères agences de l'OTAN...Musk vise une nouvelle usine à Shanghai...
L’Edito
TikTok ou l’hypocrisie américaine assumée
On reproche à TikTok de “lobotiser les masses”, d’espionner, de monitorer nos comportements, et à sa société-mère, ByteDance, de coloniser les USA par voie de meta-données. L’agressivité de l’Amérique vis-à-vis des entreprises de la tech chinoise est largement exagérée. Mais totalement assumée.
Faut-il rappeler que Google, qui génère plus de 200 milliards de dollars de revenus sur son monopole publicitaire, a maintes fois modifié ses algorithmes de search publicitaire, menaçant une myriade d’entreprises et de small businesses ? Que la firme a été condamnée à 200 millions d’euros d’amendes pour avoir favorisé ses propres services de publicité en ligne ? Faut-il rappeler qu’Amazon, le rouleau-compresseur de l’e-commerce, a déjà été condamné pour pratiques commerciales et fraudes, en interdisant carrément aux vendeurs de la marketplace de recontacter leurs clients? Et, c’est moins connu mais tout aussi vicieux, de by-passer ces mêmes vendeurs en traitant directement avec leurs partenaires industriels pour faire fabriquer les produits sous la marque Amazon? Faut-il rappeler aussi que Facebook embauche depuis de nombreuses années de brillants ingénieurs spécialistes du cognitif, en particulier français, comme Adrien F. que j’avais rencontré à San Francisco, nommé à la tête du département spécifique “Analyse du graph social et push marketing en cas de rupture sentimentale ” ? Dans cette bronca, chacun ses arguments, mais ce qui est commun, c’est que les “loups guerriers” ne sont plus seulement chinois.
Marion Moreau
Le chiffre de la semaine : 10%
10% des ingénieurs et entrepreneurs de la tech ont fui la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine, un chiffre relevé par le MIT Technology Review. Environ 100 000 ingénieurs en informatique se sont réfugiés dans les pays voisins en 2022.
Un tour des News
Nobelium, le groupe de hackers russe responsable de l’attaque SolarWinds, accusé d'avoir espionné les agences diplomatiques de l'UE et de l'OTAN
L’agence polonaise de cybersécurité CERT.PL vient d’annoncer avoir découvert une campagne d’espionnage ciblant les ministères des Affaires étrangères et les entités diplomatiques des pays de l'OTAN, de l'Union européenne et, "dans une moindre mesure", de l'Afrique. Il s’agirait d’une campagne menée par Nobelium, soutenu par le Kremlin, qui s’était rendu célèbre en pénétrant en 2020 le logiciel SolarWinds qui avait conduit à de très importantes fuites de données à l’échelle mondiale. Nobelium, également appelé APT29 or BlueBravo, avait aussi mené des cyberattaques contre l'armée ukrainienne, des partis politiques, des gouvernements internationaux, et des ONG. Lire le rapport officiel du gouvernement polonais.
Face cachée de la Tech : Samsung expose ses ouvriers à des produits chimiques dangereux
L’entreprise Samsung, qui pèse 15% du PIB de la Corée du Sud, fait l’objet d’accusations par un lanceur d’alerte, un ancien chargé de la sécurité environnementale des usines de la firme. On apprend dans une enquête de Rest of World que les 16000 ouvriers d’une usine basée au Vietnam à Bac Ninh ont été exposés à des produits chimiques sans système de protection pendant de très longs mois, provoquant des évanouissements et des fausses couches. L’ancien responsable de Samsung affirme aussi que l'usine a déversé des produits chimiques dans les cours d'eau de Bac Ninh. Plusieurs enquêtes internationales indépendantes sur des faits similaires planchent sur d’autres faits potentiellement commis ailleurs par le fabricant de smartphones sud-coréen. Lire l’enquête de Rest Of World
Alibaba lance son ChatGPT
La firme créée par Jack Ma en 1999 vient de lancer son IA conversationnelle, baptisée Tongyi Qianwen, qui signifie “chercher une réponse en posant mille questions". Cette version de ChatGPT devrait être intégrée à la palette d’outils très large d’Alibaba, comme DingTalk, une messagerie professionnelle pour rédiger des notes et des comptes-rendus de façon automatique. Le régulateur chinois mène actuellement une concertation pour encadrer l’usage de l’IA.
Semi-conducteurs: L'Allemagne pousse Intel à dépenser 17 milliards d'euros pour une usine de puces
L'Allemagne met la pression au fabricant de puces électroniques américain Intel. En jeu, l’implantation d’une gigantesque usine de puces dans la ville de Magdebourg, en échange de subventions plus élevées, comme on peut le lire dans le Financial Times. Si le “deal” se confirme, il s’agirait du plus grand investissement direct étranger du pays depuis la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne demande en ce moment à Intel de ré-hausser ses investissements à hauteur de 17 milliards d’euros, une politique incitative basée sur le versement de subventions sous contrôle de l’Union européenne, qui a annoncé un plan massif d’investissements de 43 milliards d’euros sur les semi-conducteurs.
Semi-conducteurs: SoftBank s'apprête à inscrire Arm à la bourse du Nasdaq
La banque d’investissement japonaise SoftBank va déposer une demande de cotation en bourse au Nasdaq de la société Arm, une société britannique qui fabrique des puces, et que SoftBank a racheté en 2016.
L’IPO d’Arm, qui pourrait avoir lieu à l’automne prochain, intervient quelques mois après une tentative avortée de revente au rival américain Nvidia en 2022.
Batteries : Tesla planifie la construction d’une usine à Shanghai…
Elon Musk n’en fait décidément qu’à sa tête. Son entreprise Tesla envisage de construire une usine à Shanghai pour produire son système de stockage d'énergie Megapack, qui fournit des packs de batteries lithium-ion pour aider à stocker l'énergie renouvelable pour les réseaux électriques. Déjà présent à Shanghai, Tesla perçoit un quart de ses revenus en Chine. Mais la bataille s’annonce rude à cause d’une féroce concurrence locale en Chine (BYD notamment), et un contexte géopolitique tendu.
→ Voir l’analyse “Les batteries électriques, prochain sujet de tension entre la Chine et les USA”
… Tandis que la Chine mise sur l’Europe
Le fabricant chinois de batteries SVOLT créé en 2018 s'apprête à élargir sa présence en Europe avec le projet de cinq nouvelles usines, en Europe de l'Est, du Nord et de l'Ouest. La société finalise la construction d’un site de production dans la région de Sarre (tout proche de la France), et prochainement dans le canton de Brandebourg, là où est implantée la gigafactory de l’américain Tesla. Stellantis a commandé ses batteries électriques au chinois Svolt, qui vise la fourniture en énergie électrique à 1 million de véhicules sur le Vieux Continent.
Guerre du computing : de la pénurie de composants à la guerre hybride
Par Grégory Renard, chercheur et expert en intelligence artificielle, basé à Palo Alto, USA.
Depuis quelques années, la pénurie de GPU (Graphics Processing Units) et de CPU (Central Processing Units) a suscité de nombreuses inquiétudes dans l'industrie de la technologie.
Ces unités de traitement sont essentielles pour l'entraînement et le fonctionnement des intelligences artificielles, et leur importance ne cesse de croître. Malheureusement, cette croissance de la demande a entraîné une pénurie de ces unités, rendant de plus en plus difficile pour les individus, les entreprises et les pays d'avoir accès à ces ressources de calcul cruciales.
Les pénuries de GPU continuent, depuis la pandémie du Covid 19, de frapper le marché de l'électronique, ce que Jensen Huang, PDG de Nvidia, constate lui-même lors de la conférence GTC, l’événement annuel de l’entreprise qui s’est tenu le mois dernier. Huang y explique que la demande pour les cartes graphiques haut de gamme reste élevée en raison de l'essor des applications d'intelligence artificielle, des cryptomonnaies et du gaming. Les pénuries en semi-conducteurs et autres composants, exacerbées par la pandémie, ont également contribué à ces défis. Malgré les efforts de l'entreprise pour augmenter sa production, les consommateurs pourraient continuer à subir des retards et des prix élevés jusqu'à ce que l'approvisionnement soit rétabli.
Mais cette pénurie de GPU et de CPU n'est pas uniquement un problème économique. Elle a également des enjeux géopolitiques importants.
En effet, Taïwan, qui produit une grande partie des GPU et des CPU utilisés dans le monde, est soumise aux tensions commerciales et politiques entre les États-Unis et la Chine.
La guerre commerciale entre ces deux puissances a eu un impact sur les chaînes d'approvisionnement de Taiwan, et entraîné une augmentation des coûts et une pénurie de ces unités de traitement.
En outre, il est important de souligner que cette pénurie de composants peut être considérée comme une forme de guerre hybride, également appelée guerre de “4ème génération”.
La guerre hybride est une stratégie connue, utilisée par les États pour influencer ou contrôler les autres pays sans recourir à des moyens militaires conventionnels. En utilisant des moyens économiques, technologiques et autres, les États peuvent exercer une influence sur les autres pays sans déclencher une guerre ouverte. Dans le cas de la pénurie de GPU et de CPU, les États-Unis et la Chine peuvent influencer les autres pays en contrôlant l'accès à ces ressources de calcul cruciales.
Il est donc essentiel que les gouvernements et les entreprises trouvent des solutions pour résoudre cette pénurie de GPU et de CPU, afin de permettre un accès équitable et abordable à ces ressources de calcul essentielles pour le développement de l'IA et la compétitivité économique des pays. G.R
Les clichés de l’IA vus par les ingénieurs
Hors Normes propose d’élever le débat sur l’IA en sondant les experts techniques.
L’IA a des biais
Il y a une confusion sur l’IA qui aurait des “biais”. C’est un processus de calcul et un calcul n’a pas de valeur, donc pas de biais. Estimer qu’il en aurait parce qu’il porte le nom d’IA est un biais de l’anthropocentrisme, c’est à dire donner à des choses non humaines des valeurs humaines. Une espèce de paréidolie, une illusion d’optique technologique. En revanche, se poser la question de savoir si on peut contrôler une IA pour lui faire dire ou voir ce que l’on veut, oui.
Kwame Yamgnane, fondateur de Qwasar.io et ex-fondateur de l’école 42 (Beaune)
l’IA est une révolution
Oui, l’IA est une révolution technologique. Mais le plus intéressant est dans l’impact opposé: comme les AOC pour le vin, il va falloir labeliser, certifier les contenus originaux produits par des humains. Et apprendre à détecter le contenu génératif pour mieux mettre en avant celui qui ne l'est pas. Après une période de flottement, j'ose espérer une réaction "humaine" qui apportera un discrédit du contenu produit par l'IA.
Yves Leroch, entrepreneur et ingénieur (Prague)