Hors Normes #8
Telegram aux mains du Kremlin?...Bientôt un ChatGPT chinois...Le lobbying de l'américain SandboxAQ en France...
Les News
Un ballon d’observation de haute altitude survole le ciel américain et canadien
Un ballon d’observation de haute altitude a été vu au-dessus de l’Etat du Montana aux États-Unis dans la nuit de jeudi à vendredi. Il a été également aperçu dans le ciel canadien peu après. Le Pentagone attribue ce vol intrusif aux Chinois, comme l’indiquent plusieurs médias, dont Reuters, et a appelé à ne pas détruire l’objet volant pour éviter tout risque de dégradations au sol. Le ballon léger, gonflé par un gaz, peut embarquer des caméras et des radars, et voler à 40 000 mètres d’altitude, alors qu’un avion de ligne n’atteint, lui, que 12 000 mètres d’altitude. Certains officiels américains rappellent que le ballon ne pouvait pas ne pas être vu par les autorités américaines, le ciel des USA étant parmi les les plus surveillés au monde.
À quelques jours seulement de la visite du Secrétaire d’État Antony Blinken, qui demeure pour le moment confirmée, l’incident est considéré par les experts comme une provocation de la part des Chinois, rendant plus tendues les relations entre les deux grandes puissances.
Les ballons espions dans l’Histoire
Les ballons espions ont été régulièrement utilisés dans l’Histoire, notamment pendant la guerre de sécession aux USA dans les années 1860. Ces ballons de collecte d’informations ont été utiles pendant la guerre froide et constituaient une méthode de collecte de renseignements à faible coût, à contrario des observations satellites. Les États-Unis ont relancé cette bonne vieille méthode de surveillance ces dernières années, officiellement au-dessus de son propre territoire.
Baidu va lancer son propre ChatGPT
L’éditeur du moteur de recherche Baidu, comparable à Google en Chine, va sortir son ChatGPT d’ici quelques semaines, selon plusieurs médias locaux et internationaux. Lancé en novembre dernier par l’américain OpenAI, ChatGPT a eu un retentissement planétaire et amorcé une compétition féroce sur le marché de l’IA générative et conversationnelle. Elon Musk, Microsoft ou encore Peter Thiel (ex Paypal) et quelques associés de la Silicon Valley avaient investi en 2015 dans OpenAI, dont 11 milliards de dollars pour Microsoft. De son côté, Sundar Pichai, le CEO d’Alphabet a précisé que le moteur de recherche Google intègrera aussi l’IA conversationnelle, comme “un compagnon du search” a-t-il précisé. Si l’IA conversationnelle, à l’instar de ChatGPT, étonne par ses performances, elle représente une menace grandissante sur l’emploi et le savoir universel bâtis par l’humain.
Telegram contrôlé par le Kremlin?
L’application de messagerie sécurisée aux 700 millions d’utilisateurs est-elle un outil de surveillance des opposants à la guerre en Ukraine ? Un article de Wired rapporte le témoignage de Marina Matsapulina, une opposante à la guerre, qui a vu la police débarquer chez elle, peu après un échange de conversations cryptées sur un groupe privé. Lancé en 2013 par le jeune Pavel Dourov, Telegram semble, selon Wired, prises aux mains du Kremlin. Une politique probable compte tenu du contrôle des outils en ligne comme VKontakte, le Facebook russe, lancé également par Dourov et son frère en 2006. Telegram a bénéficié d’un énorme succès après le scandale sur le partage de données de WhatsApp avec Facebook en janvier 2021. Au Brésil comme à Hong Kong, de nombreux groupes d’opposition se sont formés sur cette plateforme dite sécurisée. Wired indique que la base d'utilisateurs russes de Telegram est passée de 30 millions en 2020 à près de 50 millions aujourd'hui, dépassant WhatsApp en tant que plate-forme de messagerie la plus utilisée en Russie.
Véhicules électriques// Xiaomi se lance dans la voiture électrique
Le Chinois Xiaomi s’apprête à être le premier fabricant de smartphones à lancer un véhicule électrique. Plusieurs photos d’un prototype ont circulé récemment et la firme devrait officialiser sa première ligne de production dans les mois à venir. Le véhicule, une berline baptisée MS11, pourrait être commercialisée autour des 45 000 dollars. Xiaomi devance l’américain Apple dont beaucoup attendent la sortie d’une Apple Car. L’enjeu de l’industrie automobile et des nouveaux entrants reste la production des batteries électriques, qui doit concilier coût et performance, et… géopolitique par le casse-tête sur l’origine en approvisionnements des matériaux.
Opération lobbying pour SandboxAQ en France
Jack Hidary, le fondateur de l’entreprise américaine SandboxAQ, spin-off du groupe Alphabet( Google) spécialisée en informatique quantique, était de passage à Paris en novembre dernier. Une visite aux allures de visite de chef d’Etat, l’homme d’affaires étant reçu par nombre de personnalités françaises de haut niveau.
Jack Hidary, qui avait démarré SandboxAQ au sein d’Alphabet, pilote cette entreprise désormais autonome aux côtés d’Eric Schmidt, l’ex CEO de Google, aujourd’hui conseiller auprès du Pentagone. SandboxAQ développe du matériel hardware et des logiciels SaaS incorporant des technologies quantiques et de l'intelligence artificielle, et se positionne clairement sur la création de nouveaux standards en matière de cybersécurité mondiale. L’entreprise adresse aujourd’hui différents marchés comme les télécoms, la finance, la santé, la cybersécurité, et le secteur public.
SandboxAQ avait racheté l’entreprise française Cryptosense en septembre 2022 pour ses logiciels de tests de sécurité des systèmes cryptographiques. À cette époque, le rachat de la startup française avait fait grincer quelques dents, compte tenu de l’aspect hautement stratégique de ses solutions.
Pendant 4 jours, l’homme d’affaires américain a donc rencontré plus de 100 personnalités françaises à la tête d’universités, de sociétés du capital risque, de fonds d’investissement, d’entreprises, de centres de recherche et… des officiels, ministres et élus. Jack Hidary a offert son dernier ouvrage à Valérie Pécresse, la Présidente de la Région Ile-De-France. Selon nos informations, cette opération de lobbying était destinée à financer la recherche française dans le domaine, et pénétrer l’écosystème français, parmi les plus réputés en matière d’innovation quantique.
SandboxAQ vient tout juste de remporter un contrat auprès de l’US Air Force. La spin-off de Google testera et évaluera son prototype de capteur quantique pour aider à protéger la résilience de la navigation militaire, selon le communiqué officiel.
L’Inde au cœur de la bataille technologique sino-américaine, par Pierre Haski
Dans une précédente édition de Hors-Normes, je me demandais si l’Inde pouvait réellement devenir la « nouvelle Chine »… Les États-Unis et l’Union européenne font visiblement ce pari, et misent de plus en plus sur l’Inde pour offrir une alternative sur le plan technologique.
Jake Sullivan, le Conseiller national à la Sécurité de la Maison Blanche, a ainsi annoncé une initiative indo-américaine sur les technologies de rupture, et même un mécanisme de développement en commun de nouveaux armements. Parmi les domaines cités, le quantique, l’intelligence artificielle, les télécoms, les semi-conducteurs… Bref, tout ce que les États-Unis ne veulent pas voir dominé par les Chinois.
Les Européens, de leur côté, vont créer avec le gouvernement de Delhi un « Conseil technologique et commercial UE-Inde », qui aura pour but de coordonner les deux parties sur les enjeux des technologies de la transition écologique, sur des chaînes de valeur fiables et solides, ou encore sur la gouvernance numérique. Ce n’est pas exactement le même terrain que les États-Unis, mais on est, là encore, sur des sujets qui concernent indirectement la Chine.
Ces accords-cadres parallèles des deux piliers du monde occidental avec l’Inde sont tout sauf anodins. D’abord parce que depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Inde a soigneusement veillé à ne pas s’aligner sur la position occidentale. Elle a augmenté ses importations d’hydrocarbures russes, profitant d’un sérieux rabais sur les prix élevés du marché ; et elle a refusé de condamner Moscou, traditionnellement son fournisseur numéro un d’armement (même si ces dernières années, elle a commencé à diversifier ses approvisionnements, notamment avec la France, comme on le verra lors de la prochaine visite d’Emmanuel Macron au premier semestre). Le premier ministre indien, Narendra Modi, a même participé en septembre au Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), à Samarcande, en présence de Vladimir Poutine auquel il a quand même fait la leçon (« l’heure n’est pas à la guerre »).
Mais ce « non-alignement » sur l’Ukraine ne fait pas de l’Inde un pays neutre vis-à-vis de la Chine. La rivalité sino-indienne est ancienne, et s’exprime régulièrement par des clashes sur leur très longue frontière commune. L’Inde a assisté impuissante à l’émergence de la Chine dans les années 90 et 2000, quand Pékin était choyée par les investisseurs en raison de ses infrastructures incomparables, et de sa main d’œuvre corvéable à merci ; les perceptions sont en train de s’inverser (comme la courbe de la population), avec les errements chinois sur le Covid, le risque politique, et l’affaiblissement relatif d’une « usine du monde » fiable et peu chère. L’Inde se positionne pour prendre le relais, en tentant de rattraper son retard, malgré des handicaps structurels certains.
Alors l’Inde est-elle, sans le dire, en train de basculer dans le camp occidental face à la Chine ? Il serait sans doute plus juste de dire que Narendra Modi est d’abord un nationaliste hindou, qui comprend bien que la seule chance aujourd’hui de faire émerger la puissance indienne est de l’accrocher à la technologie occidentale, profitant de l’impopularité chinoise. Cela n’en fait pas nécessairement un allié inconditionnel des Occidentaux, loin de là, et ça ne changera vraisemblablement pas sa position sur l’Ukraine, il n’y a aucun intérêt.
2023 est en tous cas l’année de l’Inde, courtisée, et qui préside aussi bien le G20 que l’OCS (l’Organisation de coopération de Shanghai), deux plateformes dont elle espère faire le meilleur usage - pour son propre intérêt.
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France Inter et à l’Obs, et Président de Reporters Sans Frontières.
Chinons un peu, avec Bruno Gensburger
被请喝茶 - Bei qing hecha - Être invité à prendre le thé
Boire son thé d’une main sans en renverser, alors que l’autre est menottée au radiateur ou à la chaise du tigre*, demande un peu d’adresse et beaucoup de discipline. Surtout quand c’est un membre de la Commission centrale du même nom qui vous interroge depuis des heures. Bien sûr, compte tenu de l’inconfort de votre posture et des tressaillements d’effroi que vous inspire légitimement votre accusateur, il se peut que vous en renversiez un peu mais on ne vous en voudra pas. Alors détendez-vous. Si vous êtes là, c’est que vous êtes coupable. Ce n’est pas le juge qui vous le dit (puisque vous êtes hors de tout cadre légal), mais juste l’inconnu qui vous fait face depuis des jours, et c’est bien suffisant comme ça. La Sainte Inquisition ne saurait se tromper sur les gens qu’elle fait enlever...
Vous vous êtes donc rendu coupable de graves violations de la discipline du Parti, soit parce que vous avez abusé de votre position pour obtenir des faveurs matérielles, financières ou sexuelles, soit parce que vous avez divulgué des secrets d’Etat ou porté atteinte à sa sécurité. Peu importe. Réelles ou fabriquées, ces accusations sont destinées à discréditer, intimider ou retirer de la circulation quelques semaines, mais rarement plus de 18 mois, des adversaires rebelles ou simplement gênants pour le PCC. Certains en sont ressortis, parfois un peu traumatisés, mutiques ou avec des tics faciaux, mais d’autres, de santé sans doute plus fragile, n’ont pas survécu aux privations de sommeil, au stress ou aux séances de bains glacés.
Alors maintenant, arrête de me prendre pour un con et réponds-moi : thé vert ou thé au jasmin ?
*Chaise d’interrogatoire chinoise
Bruno Gensburger est interprète de conférence en mandarin et conseiller en diplomatie des affaires.