IA de défense : l'Europe sur le pied de guerre
Hausse des investissements dans ce secteur en pleine ébullition
Abandonner définitivement Palantir. C’est en filigrane le message subliminal derrière la levée de fonds de Comand.ai, annoncée ce matin à hauteur de 8,5 millions d’euros, une opération menée par le Fonds Eurazeo.
Face à l’essor des armes autonomes et des nouveau outils d‘anticipation, l’IA de défense fait partie clairement partie des priorités, encore faut-il qu’elle soit made in Europe.
Comand.ai édite un logiciel baptisé Prevail, qui permet d’analyser et de prendre de meilleures décisions : « L’objectif est d’augmenter » l’officier, en lui permettant une prise de décision quatre fois plus rapide, résume le Pdg, Loïc Mougeolle, un ancien de Naval Group.
Créée il y a seulement un an, Comand.ai a engagé une équipe composée d’anciens ingénieurs de Palantir et d’Open.ai. Elle est pilotée par Loïc Mougeolle et l’expert en IA Antoine Chassang, lui-même ancien de Snapchat, l’application de vidéos éphémères. Comand.ai avait bénéficié des premiers soutiens en equity , Xavier Niel (Kima Ventures) et plusieurs business angels restés discrets.
La société française se positionne donc comme une alternative au géant américain Palantir, dont l’ultra-libertarien Peter Thiel est l’un des fondateurs. Palantir, société controversée d’analyse de données des citoyens à large échelle, profite actuellement d’un contexte favorable pour développer son IA de défense : la crise de la frontière avec le Mexique qui a été l’un des axes majeurs de la campagne de Trump d’une part, et les tensions internationales qui favorisent la commande publique d’autre part. L’actuel CTO de Palantir, Shyam Sankar, est d’ailleurs pressenti pour jouer un rôle significatif au Pentagone, on attend l’annonce de sa nomination par Donald Trump dans quelques jours.
Face à la puissance de Palantir, qui avait d’ailleurs créé une sévère polémique en France pour son usage « anti-souverain », l’IA de défense en Europe est un marché avec de petits acteurs (la levée de fonds de Comand.ai reste très faible en comparaison), mais de beaux jours s’annoncent pour ce secteur en plein boom.
En France, ChapVision, créé il y a 5 ans, est l’un de ces acteurs. L’entreprise, dirigée par Olivier Dellenbach, annonce déjà être profitable, avec 200 millions d’euros de revenus, et 27 acquisitions à son actif.
Notons aussi le rachat de l’entreprise Preligens en septembre dernier par le groupe Safran. L’entreprise a développé des systèmes IA puissants appliqués au domaine spatial et aéronautique.
Mais c’est en Allemagne que les sociétés d’IA de défense sont le plus soutenues : Helsing, une start-up spécialiste, a levé 487 millions de dollars en 2024.
Defense Tech : hausse nette des investissements
Cette année, les investissements en « Defense Tech » en Europe ont atteint des niveaux records. On compte 1 milliard d’euros en levées de fonds, un score multiplié par cinq depuis 2018. L’IA et les systèmes autonomes, la cybersécurité, le satellitaire, les technologies de cryptographie et du quantique arrivent en tête des domaines priorisés. Les principaux pays bénéficiaires sont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France, qui captent ensemble 87 % des fonds investis.
Le secteur Defense Tech reste largement financé par les Fonds institutionnels, à commencer par le Fonds européen de la défense, ou le Fonds de l’OTAN, lancé en 2023, pour renforcer la coopération transatlantique en matière d'innovation défense. (lire la chronique de Pierre Haski)
En France, la Banque Publique d’investissement a lancé en 2021 un Fonds dédié à la défense.
Mais en coulisses, les voix des startups grincent vis-à-vis de ces Fonds publics. « Des processus très lourds », « tout est trop lent ».
Cette lourdeur administrative a une réponse : de nouveaux acteurs émergent, comme Europe Defense Tech Hub (EDTH), une initiative civile visant à accélérer l'innovation technologique dans le domaine de la défense européenne : « Nous organisons des hackathons, créons des communautés, partageons des ressources et investissons des capitaux ». Ce réseau fédère aussi des partenaires industriels, comme le français Comand.ai et l’allemand Helsing.
Récemment, le collectif qui compte plusieurs entités ukrainiennes ( Brave 1, le Ministère de la Défense ukrainien) a organisé un concours à Station F, l’incubateur fondé par Xavier Niel à Paris.
Sur l’un des t-shirts d’un hacker présent à l’événement, on pouvait lire ce slogan signé d’un très grand homme politique britannique dont je vous laisse deviner le nom : « Celui qui n'a pas de plan se prépare à échouer ».
M.M