Le titre du site américain était assurément accrocheur : « les meilleures technologies à avoir en cas de désastre naturel »… Pas la première chose qui viendrait à l’esprit, mais c’est le signe de notre époque de dérèglement climatique que de telles informations soient nécessaires. Il faut dire qu’entre le désastre de Hawaï, les incendies catastrophiques de Grèce ou du Canada, la canicule en différents points du globe y compris dans une bonne partie de la France fin août, on n’a pas manqué de raisons de se poser la question de notre adaptation, ou simplement de notre préparation à des désastres naturels ; sans parler du risque géopolitique désormais omniprésent, entre cyberattaques, sabotage de câbles sous-marins ou autres actes malveillants…
L’article du « Washington Post », mais il y en a eu bien d’autres, m’a plongé dans un abime de questionnements. Surtout qu’au même moment, mon smartphone me « disait » qu’il reprendrait sa charge électrique lorsque la température de l’appareil baisserait… Et je me suis rendu compte que j’avais à ce point « modernisé » mon environnement que je serais bien démuni en cas de panne ou de sabotage généralisé. J’ai renoncé à mon vieux téléphone analogique puisque les seuls appels que je recevais étaient du démarchage commercial pour … changer d’opérateur télécom ! Je n’ai pas la moindre bougie chez moi, pas même pour les odeurs, et serais donc bien embêté en cas de panne de courant durable ; je n’ai pas de transistor à piles pour avoir des infos en cas de panne numérique, car j’écoute la radio sur mon smartphone … numérique ! Enfin, je ne connais plus par cœur un seul numéro de téléphone depuis qu’ils sont en mémoire dans mon smartphone, alors que j’ai toujours en tête celui de mon meilleur ami d’enfance dans le monde d’avant : POINCARE 64 28… En cas de panne de courant durable, je ne pourrais même pas appeler mes enfants une fois mon portable vidé ! Je ne parle même du café qui ne fonctionne qu’avec des capsules bien spéciales qui viendraient à manquer en cas de disruption des chaines d’approvisionnement…
Bref, je suis totalement inadapté à notre époque où la régression se doit d’être une option, alors que je pensais être au top de la modernité numérique sans réaliser le risque que je prenais. Cette réflexion personnelle estivale (je vous rassure, je ne vais rien changer à mon mode de vie, la rentrée se chargera de me faire oublier tous mes doutes, un peu comme les bonnes résolutions du nouvel an qui dépassent rarement le 10 janvier…), les États la mènent aussi. Au Pentagone comme au ministère des Armées en France et dans la plupart des capitales, on se pose la question de l’excès de modernité qui provoque autant de fragilités. Les tensions géopolitiques accrues tout comme l’impact du dérèglement climatique rendent ces réflexions urgentes.
Il y a une bonne décennie, un « war game » réalisé à l’université de Harvard, simulant une confrontation sino-américaine, s’était conclu sur une victoire chinoise, non pas en raison de la supériorité des forces de Pékin, mais en raison de la plus grande vulnérabilité des systèmes américains. Depuis, la numérisation de l’économie chinoise s’est développée, dans la finance, la surveillance, la production industrielle, les transports, et il est possible qu’un même exercice donne un résultat inverse. Mais gageons que les Chinois aussi se posent cette question.
Un roman américain de politique fiction, « La flotte fantôme » (ed. Buchet-Chastel), de P.W. Singer et August Cole, le premier consultant au département d’état, le second écrivain, avait imaginé en 2015 le scénario d’une guerre mondiale sino-américaine. A l’image de « Minority Report », le livre n’utilisait que des technologies existantes. Et la scène d’ouverture, mémorable, se déroulait dans l’espace avec l’éviction des Américains de la station spatiale internationale, et la destruction du réseau de satellites GPS et de communication américain par les armes antisatellites chinoises. Les navires américains au milieu du Pacifique étaient rendus aveugles et muets, les instructions aux forces armées et aux citoyens devenaient impossibles ; bref, la guerre commençait mal pour les États-Unis.
Le mot d’ordre du XXI° siècle pourrait donc bien être celui de la ringardisation, non pas pour redevenir des « hommes de Cro-Magnon », pour reprendre une formule présidentielle ; mais pour survivre à des scénarios de moins en moins imaginaires, de désastres, de pannes, ou de sabotage. Tiens, en terminant cette chronique, je vais quand même aller m’acheter des bougies et un transistor, ça peut toujours servir…
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France et Inter et à l’Obs, ancien correspondant pour Libération en Chine. Il est Président de Reporters Sans Frontières.
Très éclairant :-) Merci Pierre