Le 18 septembre prochain sort chez Stock la traduction française d’un livre de la journaliste britannique Tania Branigan, sous le titre « Fantômes rouges ». Ces « fantômes » sont ceux de la Révolution culturelle chinoise (1966-1976) qu’a rencontrés l’ancienne correspondante du « Guardian » à Pékin. La « Grande révolution culturelle prolétarienne », pour reprendre son nom complet, n’avait de « culturel » que le nom, et fut au contraire une impitoyable lutte pour le pouvoir déclenchée par Mao Zedong. « On ne peut pas comprendre la Chine d’aujourd’hui sans comprendre la révolution culturelle, écrit Tania Branigan. Retirez-là, et le pays n’a plus ni queue ni tête, un peu comme la Grande-Bretagne sans son empire ou les États-Unis sans la guerre de Sécession ». Une période déterminante, certes, mais sur laquelle un voile pudique s’est abattu.
La raison pour laquelle j’en parle est une petite information financière de la semaine : l’investissement d’un fonds étranger, DST global, au sein d’un réseau social chinois, « l’Instagram chinois », dit-on. Valorisé à 17 milliards de dollars, c’est la sensation du moment en Chine, et cette levée de fond marque le retour de capitaux étrangers sur le marché chinois, après la période de glaciation qui a suivi le coup d’arrêt du pouvoir avec la « disparition » puis la mise à l’écart de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. Mais ce qui m’a intéressé dans cette nouvelle, c’est le nom du réseau : Xiaohongshu, ce qui signifie -je parle sous le contrôle de notre excellent ami bilingue Bruno Gensburger- « Petit Livre rouge »…
Oui, l’équivalent d’Instagram, avec ses belles photos retouchées et aseptisées, ses selfies à gogo et ses vidéos mignonnes, porte le nom du symbole absolu de la révolution culturelle, le livre de la pensée du Grand Timonier que les gardes rouges, et tout Chinois qui tenait à la vie, se devait d’avoir à la main à tout instant. Si Tania Branigan avait eu besoin d’un exemple de l’amnésie collective organisée en Chine, Xiaohongshu le lui aurait fourni sur un plateau (une autre journaliste, Louisa Lim, a écrit un livre au titre parfait : « the people’s republic of amnesia », la république populaire de l’amnésie).
La distorsion historique chinoise va plus loin encore. Un souvenir vieux de vingt ans me revient à l’esprit
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