Le «rêve américain» veut remplacer le «rêve chinois» en Afrique centrale
La chronique de Pierre Haski
À observer le monde avec une certaine grille de lecture, on finit par tout voir à travers ce prisme. Mais lorsque les États-Unis signent un MOU (Memorandum of understanding) avec la République démocratique du Congo et la Zambie à propos des batteries électriques et des minerais nécessaires pour les fabriquer, on ne risque pas de se tromper à y voir un épisode de plus de la rivalité sino-américaine. Même si le nom de la Chine n’est jamais prononcé.
C’est sans doute un des projets les plus ambitieux imaginés à Washington pour damer le pion à Pékin : les Américains proposent à ces deux pays, qui détiennent à eux deux une part considérable des minerais qui entrent dans la fabrication des batteries électriques, de changer la règle du jeu. Les États-Unis veulent créer sur place toute la chaine, de l’extraction au traitement des minerais, jusqu’à la fabrication des batteries elles-mêmes ; le tout avec un processus vertueux socialement, pour l’environnement, et dans la lutte contre la corruption.
Trop beau pour être vrai ? C’est évidemment le scepticisme qui l’emporte à ce stade, même si les Américains mettent beaucoup d’efforts pour donner de la crédibilité et du poids à leur démarche. Sur le papier, c’est formidable : la RDC et la Zambie sont des pays riches éternellement pauvres, à voir leurs ressources extraites et exportées, avec toute la valeur ajoutée produite à l’étranger, le tout dans une malgouvernance chronique. Changer cette donne casserait le cercle vicieux du sous-développement dans lequel les ont enfermés des décennies de gabegie. Et casserait au passage le quasi-monopole que la Chine a bâti pendant 20 ans, pendant que les États-Unis et l’Occident regardaient ailleurs.
L’exemple du chrome, dont la RDC produit 70% des besoins mondiaux et qui est un composant essentiel des batteries électriques, est éloquent. En RDC, deux grandes sociétés minières, étrangères, le suisse Glencore et le chinois Molyndenum, exploitent principalement le cobalt ; mais il y a un troisième acteur à côté de ces multinationales, une armée de quelque 200 000 mineurs informels, dont 40 000 enfants, dans des conditions abominables, des vidéos en attestent. Ces 200 000 personnes produisent quelque 15% de la production de la RDC, soit plus que le numéro deux mondial, la Russie ! Et elles revendent leur production à des intermédiaires chinois qui les exploitent. C’est dire qu’il y a du chemin avant de rendre ce secteur « vertueux ». Et plus de chemin encore avant de créer, en RDC comme en Zambie, les conditions industrielles, financières, sociales et environnementales, pour disposer de toute la chaine de production des batteries, ce qui serait un « game changer » pour ces pays.
Mais ce qui compte à ce stade, c’est évidemment la démarche politique des États-Unis. Les États africains se méfient de toute situation qui les obligerait à choisir entre la Chine et l’Occident, comme au temps de la guerre froide. Les Américains jurent qu’il n’en est pas question, qu’ils ont retenu les leçons du passé… Mais ils avancent pas à pas avec la proposition américaine qui leur permettrait, au minimum, de diversifier leurs partenariats et donc d’établir une relation moins dépendante avec la Chine. Rien que pour ça, la démarche mérite d’être observée de près, mais si un MOU ne fait pas le printemps industriel en Afrique centrale.
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France Inter et à l’Obs, et Président de Reporters Sans Frontières