« L’IA, c'est la victoire absolue de l’hyper-capitalisme »
Entretien avec Bruno Colmant, économiste et membre de l'Académie Royale de Belgique
Cinq ans après la parution de son livre « Du rêve de la mondialisation au cauchemar du populisme », Bruno Colmant, économiste et Membre de l’Académie Royale de Belgique, voit l’intelligence artificielle comme un facteur aggravant de déstabilisation du système économique et social. Entretien.
Comment analysez-vous le schéma économique qui se profile avec l’essor de l’intelligence artificielle ?
La véritable question qui se pose ce sont les gains de productivité, indispensables parce que la croissance économique dans sa globalité, c'est une combinaison de démographie et de gains à productivité. Des gains de productivité partagés entre deux facteurs de production : capital et travail. Ce qu'on a observé au début du XIX ème siècle avec la première économie manufacturière et le machinisme, pour développer et remplacer la force humaine par la machine, prend aujourd’hui une dimension bien plus importante avec l’intelligence artificielle. Ces gains de productivité vont être essentiellement voire peut-être même totalement aspirés par le capital au détriment du travail. La valeur relative de la rémunération du travail par unité de prestation, par unité de temps, va devenir moindre.
La valorisation boursière des grands acteurs ( Gafam) maintient dans son efficience une situation quasi monopolistique dans le futur, et centré sur la machine plutôt que sur l'homme. L'homme en tant que consommateur mais pas en tant que producteur. Et donc cela va poser des problèmes en termes d'appauvrissement du travail. Nous allons redécouvrir la fameuse théorie de Sismondi, cet auteur qui au début du XIXème avait constaté ces disparitions du travail et son remplacement par la machine. Il avait théorisé de manière un peu brutale sans doute que toute personne qui perdait son emploi de manière définitive, parce qu'il était remplacé par une machine, devait percevoir une rente à vie.
Le capitalisme a déjà en grande partie gagné, je parle d’ailleurs plutôt d’hypercapitalisme, qui va déboucher sur une impossibilité de financement du système social et fiscal, si la rémunération relative au travail n’est pas suffisante.
Que faut-il faire pour prévenir ce risque ?
Il faut un contrôle sur ces entreprises, et exiger d’elles qu’elles paient des impôts pour rééquilibrer l’équation fiscale, et pourquoi pas d’exiger de ces entreprises commerciales qu’elles paient des cotisations sociales, dans la logique de Sismondi.
Que dire de la relation Etats-Gafam aux Etats-Unis, sur les investissements dans l’IA ?
Historiquement, les USA ont fondé un capitalisme basé sur la libre concurrence, un marché avec des entrants et des sortants, et le combat contre les monopoles.
Aujourd’hui, c’est l’inverse, ces critères sont oubliés, les USA sont dans la promotion du monopole. Le problème, c’est que ces monopoles s’auto-consolident de manière permanente, leur valorisation est basée sur l’anticipation du maintien du monopole, et ils ont assez d’argent pour entraîner les monopoles. On l’oublie trop souvent, mais aux USA, il y a un alignement régalien très fort sur le développement technologique porté par le secteur privé. On pense souvent que les Etats sont en train de disparaître. Je pense que c’est vrai pour l’Europe, pas pour les Etats-Unis. Sans la puissance de l’Etat américain, Elon Musk ne serait pas là aujourd’hui…
Par ailleurs, aux Etats-Unis, il n’y a pas de protection sociale. Le travail est perçu comme une externalité, Amazon a d’ailleurs commandé 750 000 robots...
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