王教授 Wáng jiàoshòu
Elle est atteinte d’un mal très avancé et agressif qu’elle sait incurable. Jusqu’ici, protégée par ses intimes et sa famille, elle est restée pleinement confiante en l’équipe soignante et s’efforce de faire sa part pour améliorer son propre bien-être et maximiser l’efficacité du protocole. Gardez le moral, lui ont-ils dit, c’est important.
Mais depuis sa dernière chimio, elle voit son état général se dégrader. Souffle court, respiration sonore, fatigue extrême, nouvelles douleurs fulgurantes, et j’en passe. Pour la première fois, elle doute de ses chances et l’angoisse s’installe. Insidieusement.
C’est alors que son amie chinoise, férue de yoga, l’appelle pour lui signaler le passage à Paris d’un Maître hors du commun. Elle organise une rencontre à quatre dans un café chic de Paris.
- Voici le professeur Wang, dit l’amie bienveillante. Il m’a sauvée quand j’étais dans ton état. Depuis, il est mon professeur d’études classiques chinoises. Ecrivain, poète, il est aussi maître de kungfu et peut - nous dit-elle sans rire - vaincre dix agresseurs en même temps. Son Qi (énergie vitale) est si puissant qu’il peut envoyer n’importe qui valdinguer à cinq mètres, rien qu’en le touchant avec son doigt. »
Je l’aime déjà.
L’homme a la quarantaine. D’allure modeste, il est vêtu d’une veste de lettré chinois qui renforce son air affable et réservé. Son regard, qui ne se pose sur rien, lui donne l’air un peu hiératique. C’est Foudre-Bénie, le moine tibétain de Tintin, juste avant un épisode de transe lévitationnelle.
- Avez-vous déjà eu recours à la médecine chinoise pour votre mal ? - lui demande-t-il.
- Non, jamais.
- Pourquoi ?
- Parce qu’à Paris, on ne trouve pas d’offre de bonne qualité.
Il acquiesce.
- C’est vrai. Mais si vous étiez en Chine, ce serait différent ?
- Sans doute, mais je suis obligée de rester à Paris.
- Alors, je vais vous dire deux ou trois choses, reprend-il.
Puisque votre maladie est là, c‘est une bonne chose et il faut l’accepter. Mais si elle est là, c’est pour des raisons multiples qui tiennent à des douleurs, des traumatismes ou des frustrations inconscientes et inexprimées. Seule leur découverte et leur verbalisation vous sauvera. Les Occidentaux travaillent sur les symptômes et avec un regard scientifique qui les limite. Moi, je travaille sur les causes. Eliminer les manifestations sans les causes ne guérit de rien. La médecine occidentale se concentre sur la technique, alors que moi, je me concentre sur le Tao (sur la Voie).
- C’est incroyable, s’extasie l’amie conquise, il est capable de te voir de l’intérieur, et en 3D.
Puis, entre autres choses, il explique doctement :
- Un conflit avec le père, c’est l‘estomac qui trinque. Un problème avec la mère, c’est le diaphragme. Une rivalité avec un frère, ce sont des douleurs au bras.
Je suis tenté de lui demander « Et pour les odeurs des pieds… ? » Je me dis qu’il va s’arrêter là, mais non. Il ne se rend pas compte de l’effet qu’il produit sur un esprit occidental aussi étriqué que le mien. Mais peu importe puisque ce n’est pas à moi qu’il s’adresse.
Elle, elle l’écoute attentivement partager sa science matinée de superstitions. Mais ce qu’elle entend surtout, c’est la musique de son pays et de sa culture. Ce sont des intonations familières et rassurantes. Elle se laisse bercer avec indulgence, dans sa langue maternelle, par ses mythes inusables. Elle sirote les miracles inoxydables de cet aimable canaillou céleste dont le charme infuse avec douceur. C’est la chèvre guidée par le flutiau de son berger. C’est instinctif et rassurant.
D’ailleurs, la rencontre a lieu au moment le plus propice car, pour la première fois, l’inébranlable optimisme qu’elle s’est forgé se fissure, laissant entrevoir de funestes perspectives. Le sol se dérobe sous ses pieds. Le doute, la critique ou l’ironie ne sont donc plus de mise. L’emprise du Maître devient virtuellement totale et vouloir s’y soustraire pourrait compromettre ses chances de survie.
Mon royaume pour une illusion !
Les gourous, les recruteurs, les évangélistes et les manipulateurs de tout poil le savent bien : c’est quand l’émotion est au plus haut que la réflexion est au plus bas. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? C’est ainsi, et du reste, qui peut jurer qu’il n’aura jamais besoin d’un Maître Wang dans sa vie ?
Bruno Gensburger est interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées, il a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.
Bonsoir Andy, j’ai essayé de décrire une réalité, avec ironie certes, mais sans jugement de valeur, en montrant comment elle pouvait être perçue par des gens de deux cultures éloignées et dans deux états psychologiques différents. In fine, je pense que Maître Wang est aussi utile que n’importe quel marchand d’espoir, laïc ou religieux… à condition d’en avoir besoin. J’espère vous avoir davantage éclairé. Bonne soirée. Bruno
Bonjour,
Merci de votre article.
Je ne suis pas sûr de comprendre.
Bonne journée