坐山观虎斗 - Zuò shān guān hǔ dòu
Littéralement, l’expression signifie « S’asseoir sur la montagne et regarder les tigres se battre ». On imagine sans peine la beauté sauvage de la scène et l’actualité, hélas, nous en offre quelques cruelles illustrations.
Mais que faire lorsque deux tigres s’affrontent ? Les regarder s’entretuer dans l’indifférence ? Aider l’un au détriment de l’autre ? S’interposer courageusement et tenter de régler leur différend par des moyens civilisés ? Si noble soit cette dernière tentation, la Sagesse (comme la Realpolitik) nous commande, hélas, de n’y point céder. Par lâcheté, de crainte de prendre des coups des deux côtés ? Par impuissance, sachant que lorsque les vannes de la violence sont ouvertes, rien ne pourra empêcher la querelle d’être purgée jusqu’au bout ? Par intérêt, pour mieux tirer les marrons du feu, lorsque les deux adversaires se seront mutuellement épuisés ? Par opportunisme, pour mieux voler le moment venu, au secours de la Victoire et s’imposer comme un faiseur de paix incontournable ? Qu’importe.
Pour éviter ces dilemmes stériles, la diplomatie chinoise recourt systématiquement à un merveilleux principe : celui de « la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat ».
Destiné avant tout à mettre la Chine à l’abri des ingérences et critiques des autres puissances, ce Joker politique permet à celui qui s’en sert de se donner bonne conscience, de se dédouaner confortablement de son inaction et de donner à son cynisme ou à son indifférence l’aimable apparence de la vertu.
Mais le plus amusant est de constater qu’en Chine comme en Europe, nos penseurs ont su se rejoindre pour justifier l’inaction par des alibis aussi élégants que spirituels.
D’un côté, le délicieux LIN Yutang* nous enseigne qu’ « à côté du noble art de faire faire les choses par les autres, il existe celui, non moins noble, de les laisser se faire toutes seules ». Et de l’autre, le facétieux Henri Queuille** nous révèle qu’« il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre ».
Ah… ! Le beau dialogue des civilisations !
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* LIN Yutang (1895-1976), inventeur, romancier, traducteur et philosophe chinois.
** Souvent raillé pour son immobilisme, Henri QUEUILLE (1884-1970) a été notamment 22 fois ministre et Président du Conseil sous la IVe République.
Études de caractères, la chronique de Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées. Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.