放弃 Fàngqì
La mort du cuisinier de Poutine aura certainement ému Xi Jinping.
Non que le fin gourmet de Zhongnanhai* regrette de n’avoir jamais goûté à ses fameuses dragées modèle 7.62, à son hot-dog au polonium ou à son bortsch au novitchok, dont la notoriété doit tant à Alexandre Litvinenko, Sergueï Skripal, Alexandre Navalny ou Anna Politovskaia.
Mais plutôt parce que la disparition d’Evgueni Prigojine aura sans doute mis un point final à l’un des rêves secrets de l’homme fort de Pékin : disposer, lui aussi, d’une milice du type Wagner. Les faits nous montrent que ce phantasme a déjà trouvé en Chine deux traductions. La première, dans la trilogie cinématographique dite des « Loups guerriers** ». La seconde, dans la diplomatie du même nom, conduite depuis 2013 par le nouveau ex-ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, et déclinée avec brio par le déjà regretté ambassadeur de Chine en France, Son Excellence M. Lu Shaye.
Holà, tout doux, me direz-vous. Pas d’amalgame ! Dans ces blockbusters d’opérette, les "chiens de guerre" chinois n’agissaient qu’au service de causes nobles, comme la défense des faibles, des opprimés et des ressortissants chinois à l’étranger. Rien à voir avec ces horribles mercenaires russes qui massacrent froidement des innocents pour piller les territoires qu’ils confisquent. Quant aux fameux "Diplomates combattants", reconnaissons qu’ils tiennent plus de guerriers en peau de lapin, que de pitbulls sanguinaires. Et puisque la Chine clame sans cesse qu’elle n’a pas de velléités expansionnistes, qu’elle n’a pas de troupes stationnées hors de Chine (sauf à Djibouti… et sauf là où elle le décidera le moment venu pour sécuriser ses projets liés aux nouvelles routes de la soie), évitons tout amalgame.
Pourtant, sur terre comme en mer (à travers la militarisation croissante de ses flottes de pêche***), nombreuses sont les sociétés privées chinoises qui, depuis les années 2000, offrent des services de sécurité et de défense. Souvent au service de grandes entreprises d’Etat, elles sont contrôlées par le Ministère de la Sécurité publique (Gong An Bu) ou la Commission militaire centrale (CMC) et n’offrent que peu de transparence sur leur statut, leurs affiliations et leurs activités.****.
Mais gardons-nous de tout procès d’intention. Ce n’est pas parce qu’on rentre dans une banque l’arme au poing, qu’on s’apprête forcément à la braquer.
Néanmoins, pour en revenir au sujet de cette chronique, compte tenu de la proximité des cultures de gouvernance entre la Chine et la Russie, je parierais gros que l’idée d’une puissante milice de l’ombre, plus ou moins intraçable, bras armé des basses œuvres du PCC à l’étranger, avec un nom effrayant du style « Apocalypse Mao » ou pire, « Paix et amitié », a dû effleurer un jour le cerveau du nouvel Empereur.
Mais encore faudrait-il qu’il existât un "Prigochine" en qui ce dernier puisse placer intégralement et durablement sa confiance. Or, à ce jour, à supposer que quelqu’un soit taillé pour le job, je ne vois personne qui puisse se prévaloir d’une relation aussi privilégiée que celle qu’entretenait Poutine avec son Raspoutine. Mais il est vrai que China has talents…
Lénine (que je cite trop rarement dans ces colonnes) nous enseigne une chose : Le pouvoir d'Etat ne se partage pas. Et quand bien même un homme de confiance émergerait en tenue de combat, bardé de grenades et le visage maculé de cirage, pour remplir cet office, j’imagine mal le Président Xi prendre le risque de créer les ferments d’une crise comparable à celle qui vient d’affaiblir son "ami sans limites". Parfois, tout Empereur que l’on soit, il faut savoir renoncer à ses rêves. C’est certainement très frustrant, mais c’est sans doute mieux pour tout le monde.
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* Siège du Gouvernement chinois
** Films d’action dont le héros, croisement entre Jason Statham et Jackie Chan, est vraiment très très très fort.
*** Lire l’Enquête du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington, publiée le 18 novembre 2021.
**** Voir le Bulletin N°24 du Centre Français de Recherche sur le Renseignement.
Études de caractères, la chronique de Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal a eu plusieurs vies. Aujourd’hui illustrateur et auteur de bandes dessinées, Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.