La Rochelle, 15 décembre 2031. Sur mon smartphone, un message d’alerte automatique indique « Alerte tempête de catégorie 3 dans 13 jours,16 minutes et 3 secondes. Cliquez ici pour voir votre service d’urgence personnalisée ». Le message ne provient pas des services gouvernementaux, mais de la branche Public Services d’Alphabet, l’éditeur de Google.
Grâce à mon empreinte biométrique, j’arrive sur mon interface IA qui me localise en un quart de seconde, me demande comment je me sens, et me guide vers mon espace d’urgence : en un clignement d’œil, on me propose de souscrire à une assurance dégâts, on a listé pour moi un package de vivres de base à faire livrer, et, en cadeau, on m’offre 6 mois gratuits à AlphaPro, l’espace de coworking virtuel pour continuer à travailler.
Je vous vois sourire… Vous n’y croyez pas ? Laissez-moi vous convaincre que demain, ce sont les grandes entreprises de la Tech qui se hisseront au niveau des services publics, nous rendant encore un peu dépendants, et pourquoi il faut à tout prix l’éviter.
Google DeepMind, l’une des plus puissantes entreprises qui développe des modèles de langage par intelligence artificielle, multiplie les partenariats avec de très grands centres scientifiques, principalement en Europe. Il y a quelques jours, DeepMind a annoncé un nouveau modèle d'IA, GenCast, qui permettrait des prévisions météorologiques jusqu'à 15 jours d’avance par rapport aux capacités actuelles.
A l’instar d’AlphaGo, le modèle qui a battu un humain au fameux jeu de stratégie en 2015, GenCast a brillamment interprété 97 % des 1 320 variables météorologiques, et a fait des prévisions mondiales sur 15 jours en seulement huit minutes, contre des heures normalement. L’étude vient été publiée par la très célèbre revue Nature.
Open science versus Closed Science
Ces performances, dont il faut reconnaître qu’elles sont impressionnantes et prometteuses, ont nécessité 10 années de recherche menées par l’entité DeepMind, racheté en Grande-Bretagne par le géant Google il y a 10 ans.
GenCast a été développé grâce aux nombreux jeux de données d’observation, d’analyse et de mesures collectées par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, en anglais l’ECMWF (European Centre for Medium-Range Weather Forecasts). Cette organisation intergouvernementale créée en 1975 regroupe 22 pays européens et 12 autres pays associés ou en voie de devenir membres.
Son camp de base est situé à Londres (où se trouve aussi DeepMind), et complète deux autres sites, l’un à Bonn en Allemagne, où est conduit le programme spatial européen Copernicus. L'autre, situé à Bologne en Italie et qui accueille le centre de traitement des données de l’ECMWF.
C’est grâce à un partenariat entre Google DeepMind et l’ECMWF que le modèle GenCast a pu émerger, et nourrir ses puissants algorithmes à partir de données satellitaires, terrestres, marines, sur plus d’un million de points de mesure sur le globe.
(…) Such partnerships offer deep insights and constructive feedback, as well as invaluable opportunities for commercial and non-commercial impact, all of which are critical to our mission to apply our models to benefit humanity. Google Deep Mind
Mais Google DeepMind n’est pas le seul à vouloir anticiper les phénomènes météorologiques, et analyser le changement climatique, un enjeu majeur pour l’humanité. L’ECMWF a noué plusieurs collaborations de recherche en machine learning avec l’américain Nvidia (le modèle d’apprentissage profond FourCastNetv2-small, et le chinois Huawei (son modèle appelé Pangu-Weather).
Depuis une dizaine d’années, l’ECMWF signe des partenariats d’open science, dans la pure tradition occidentale de partager la connaissance et engager la communauté scientifique dans des projets de recherche.
Mais la vision américaine libérale vient faire planer un gros nuage sur l’approche holistique européenne.
Récemment, j’ai rencontré une éminence de la science moléculaire collaborant au sein de l’EMBL, l’un des plus grands laboratoires de biologie moléculaire basé en Europe, qui me confiait son expérience avec Google DeepMind : « On a collaboré aux travaux de leur système AlphaFold, un système de combinaison d’ADN. Les résultats sont absolument bluffants. On était sur une collaboration ouverte, mais depuis la version du tout dernier système, AlphaFold3, Google a décidé de ne pas publier ses algorithmes. Ça me choque beaucoup », indique le chercheur, qui dépense environ 10 millions sur 5 ans pour mener ses travaux sur l’ADN.
AlphaFold3, le modèle IA appliqué à la biologie et développé avec l’EMBL, est aujourd’hui au centre de la controverse d’une science « fermée à double tour», comme le rapportait le journal Le Monde en mai dernier.
« Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est qu’on va voir émerger une médecine personnalisée, privatisée par un club d’acteurs qui auront le monopole des traitements ciblés. Et tout ça parce qu’on aura été naïfs sur l’approche soit disant gagnant-gagnant : des centaines de millions d’euros de fonds publics auront été dépensés pendant des années dans un objectif de bien commun, pour qu’à la fin, Google vende sa science au secteur de la pharmacie. C‘est la privatisation de la science qui s’éloigne du bien commun », confie-t-il.
J’ai tenté d’en savoir plus sur l’objet des partenariats entre l’EMBL et Google, sans réponse à ce jour.
En sera-t-il de même pour GenCast et les prévisions météo et du changement climatique ? Les Big Tech seront-ils demain ceux qui, disposant des informations ultra-sensibles, sauront remplacer les services publics, et nous vendre des produits et services sur la base de décennies de connaissance scientifique acquise à bon prix ?
Les biotechnologies, la géo-science : une voie de compétitivité pour l’Europe
Aux politiques et scientifiques qui lisent Hors Normes : il est urgent de mettre en place une politique très stricte pour encadrer ces partenariats technologiques, et protéger les centres de recherche contre un transfert de connaissance inégal. Il serait, par ailleurs, intéressant de nommer des personnes qui peuvent imaginer des modèles économiques pour négocier équitablement la donnée scientifique, et projeter les bénéfices au service de la science ouverte et de l’innovation.
L’Europe, dans sa longue tradition de la connaissance du vivant et globalement de la nature, dispose des plus grandes bases de données mondiales que les nouveaux acteurs nous envient (le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, par exemple, intéresse beaucoup Google…)
C’est le moment de faire des choix qui, fondés sur la richesse de nos patrimoines, peuvent s’imposer comme un modèle différenciant compétitif. Nous disposons en Europe d’une formidable chance, celle de conjuguer excellence en IA et données du vivant. Google DeepMind, Huawei, Nvidia et d’autres l’ont compris il y a déjà longtemps.
M.M
Bravo Marion pour ta révolte.
Mais ne serait il pas plus simple de démanteler / nationalisée Alphabet , apple, facebook , Alibaba et consorts....
Cela a été fait aux USA pour ATT et ITT....mais Elon Musk veille au grain pour les intérêts des rois de la silicon Valley et leurs supporters de la finance.