Hors Normes #12
La guerre du lithium dans l'industrie des batteries électriques...Après le "TikTok Act", le "SheinAct"? ... Elon Musk retoqué par le régulateur sur Neuralink...
Le mot de la semaine
Non ce n’est pas TikTok, qui pourtant défraie la chronique techno-géopolitique avec le véto imposé aux membres des gouvernements, dans la droite ligne du parti. Pas celle du PCC mais de Washington. Il faut dire que se faire dépasser par ByteDance en seulement 7 ans avec 1,2 milliard d’actifs-addicts de l’app la plus populaire au monde, n’est pas chose courante au pays des cowboys…
J’ai choisi lithium cette semaine. Parce que petit bout de métal mou apparu au moment du Big Bang est au centre de toutes les attentions et de l’actualité internationale: L’Inde vient de mettre la main sur 5,2 tonnes de lithium à extraire dans le Nord du pays, le Mexique veut nationaliser cette ressource minérale stratégique, le français Eramet va renforcer ses investissements dans l’extraction du lithium, en Argentine et en France, dans le nickel-cobalt en Indonésie et dans le recyclage de batteries en France. Le lithium c’est fantastique comme on le disait du plastique…Bien qu’en baisse depuis quelques mois, le cours de ce matériau essentiel à la fabrication des batteries électriques a été multiplié par 14 entre 2020 et 2022 ! Le lithium, comme le dit Ursula Von Der Leyen à la Commission européenne, est le nouvel or du XXIème siècle. Sa valeur transformée semble modifier les rapports entre certains pays-clés. Derrière ce mot qui nous rappelle nos cours de chimie en laboratoire, une question me taraude: une nouvelle guerre froide entre les USA et la Chine serait-elle en train de couver dans la technologie électrique, comme dans les semi-conducteurs…? Le journaliste spécialiste des matériaux et des terres rares Guillaume Pitron nous aide à envisager plusieurs scenarii, dans ce nouveau numéro d’Hors Normes.
Les News
Implant cérébral : le régulateur freine les ambitions folles d’Elon Musk
La FDA (U.S. Food and Drug Administration) vient de rejeter l'offre d'Elon Musk de tester les puces cérébrales Neuralink chez l'homme, invoquant des risques pour la santé. Neuralink, qui conçoit des implants dans le cerveau pour “aider les paralysés et les aveugles à revenir à une vie normale”, a reçu une pluie de plaintes liées aux risques et aux conditions de ses essais cliniques : maltraitance animale, transport dangereux d’appareils contaminés de pathogènes infectieux, l’entreprise d’Elon Musk n’avance pas à la vitesse d’une fusée SpaceX, depuis son pari fou lancé en 2016 dans ce secteur pour le moins hautement sensible. Et si on vous en parle, c’est pour dire qu’il y a, dans ce monde qui semble hors de contrôle, un peu de sagesse et cela s’appelle la Régulation… Ouf…
Chips-War : les sud-coréens déchantent aux US
Qui a dit que pénurie était synonyme de sacrifices ? L’instauration du Chips Act des USA qui interdit l’exportation des semi-conducteurs à la Chine et remodèle l’industrie de ces puces stratégiques révèle de nouvelles ambitions. Les fabricants de semi-conducteurs sud-coréens ont l’obligation, comme le révèle le Financial Times, de partager certains bénéfices excédentaires inattendus avec le gouvernement américain. Les leaders de l’industrie comme Samsung Electronics ou SK Hynix peuvent bénéficier de fonds auprès du Fonds fédéral doté de 39 milliards de dollars pour implanter ses usines aux USA, mais une clause les oblige dans le même temps à reverser les excédents. Le Financial Times ne précise pas si le taïwanais TSMC, qui construit actuellement deux usines de “chips”, a droit au même sort…
Le chiffre de la semaine: 60 milliards de dollars d’ici 2025
C’est le chiffre prévisionnel de la marque fast-fashion Shein, qui devrait s’introduire en Bourse cette année. L’app chinoise cartonne aux États-Unis et en Europe. On estime à 10 milliards de dollars le total dépensé par les jeunes Américains en 2022.
Lancé en 2018, le chinois Shein a réalisé un chiffre d’affaires de 22,7 milliards de dollars en 2022, avec un bénéfice de 700 millions de dollars. Il vise à dépasser les groupes H&M et Zara réunis d’ici 2025 et pourrait bien y parvenir… #SheinAct en vue ?
Métaux rares: “On vit un Electric Gate”
Auteur de deux ouvrages et d’un documentaire sur les matériaux et les terres rares, le journaliste Guillaume Pitron a enquêté sur la face cachée de la transition énergétique et numérique. Un phénomène hautement géopolitique dans l’ère de l’industrie automobile 100% électrique. Interview.
Que se passe-t-il dans le secteur des terres rares et des minéraux stratégiques aujourd’hui ?
On assiste à une nouvelle ruée vers les matières premières dont les “pays du Sud” regorgent : la République Démocratique du Congo pour son cobalt et son cuivre, le Chili, la Bolivie et le Mexique pour le lithium, l’Indonésie pour son nickel… La transition énergétique, et en premier lieu la production des batteries de voitures électriques, sont l’enjeu de cette ruée vers l’exploitation minière. Les pays consommateurs (USA, Europe) ne disposent pas des ressources suffisantes. Or, la demande est énorme.
Le 14 septembre 2022, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen a prononcé un discours au Parlement Européen, dans lequel elle dit:
“les terres rares et le lithium vont devenir aussi importants que le pétrole et le gaz”
Cela se confirme ces derniers mois avec des nationalisations, comme au Mexique récemment, mais aussi avec de nouvelles alliances comme Apple qui re-localise son usine Foxconn en Inde, ou le français Eramet en Argentine avec son partenaire chinois Tsingshan pour l’extraction du lithium.
Tu parles d’une diplomatie minière. Qu’est ce que cela veut dire ?
Les pays consommateurs, comme toujours dans l’Histoire, vont chercher la matière dans les pays producteurs. Mais ce qui est nouveau, c’est que ces “pays du Sud” réagissent différemment. Ils ne veulent pas être des dindons de la farce. Car si vendre du pétrole ça rapporte, vendre des kilos de terres rares cela ne rapporte rien. Ce qui rapporte quelque chose, c’est vendre des produits raffinés, voire le produit transformé en aimants permanents (anode, cathode, batteries, voitures…).
Les pays producteurs veulent maintenant devenir des États qui produisent les technologies électriques. Ils ont compris les avantages de la transition énergétique: des bénéfices, des points de PIB, des emplois (100 000 emplois en Inde avec Apple/Foxconn!). D’où la raison des nationalismes de ressources, comme au Mexique qui protège son lithium. La RDC adopte, elle, une ré-hausse de sa taxation minière. L’Indonésie a choisi de vendre son nickel raffiné. C’est un des arguments qui conduit Elon Musk à réfléchir à construire une gigafactory sur le sol indonésien.
On assiste bien à un nouveau rapport de force entre pays producteurs et pays consommateurs.
La Chine, grâce à son avance et sa vision, est leader des batteries électriques…C’est elle qui mène le jeu ?
Oui, elle contrôle la production à 70% de la production mondiale des batteries électriques. Loin devant l’Europe et encore plus devant les Américains qui ont un énorme retard.
Les Chinois ont commencé à dérouler une stratégie énergétique à partir des années 90. Riches de matières premières stratégiques (terres rares, tungstène, graphite, gallium etc..), la Chine a petit à petit construit sa chaîne de valeur et structuré ses industries.
Dans les années 2000, les Chinois nous disent en quelque sorte : « Vous, les Français, vous ne vendez pas du raisin, vous vendez du vin ». Les Chinois disent aujourd’hui: « on ne vend pas des terres rares, on vend des moteurs de véhicules électriques »
La Chine a donc pris une avance considérable en finançant des infrastructures très lourdes, et parce qu’elle a compris assez tôt qu’on basculerait vers la technologie post-thermique. Elle a attendu que l’Europe fasse sa transition énergétique. Elle nous a “mis une pile”, c’est le cas de le dire! On voit d’ailleurs le leader des batteries électriques CATL s’implanter progressivement sur notre continent.
L’enjeu maintenant va être de mettre le paquet sur des infrastructures très coûteuses, pour reprendre l’avantage sur la Chine. On assiste à un rattrapage notamment des USA.
Peut-on comparer, à terme, la “guerre” des technologies électriques avec la guerre des semi-conducteurs ?
Je dirais que les semi-conducteurs sont encore plus stratégiques, parce qu’on les trouve partout. Ce qui est sûr, c’est que les USA n’ont pas l’avantage sur la production des semi-conducteurs ni sur la production de batteries, et qu’ils sont dépendants de l’extérieur pour l’approvisionnement en produits finis. Les Chinois sont aussi en partie dépendants, notamment de Taïwan, mais ils disposent de capacité d’investissement importante et ont le leadership sur la chaîne de production des batteries.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une réelle géopolitique des métaux rares qui se cristallise, avec des partenariats qui commencent a se consolider autour de certains pays, autour de normes communes. On voit se dessiner de nouvelles alliances stratégiques, sans pour autant qu’il y ait de conflit.
C‘est encore trot tôt pour le dire, mais les USA et l’Europe sont en train de poser leurs normes d’exploitation des minerais sur les bases ESG (Environmental, Social and Governance). La Chine craint que ce soit une façon de les éjecter de ces marchés.
Est-on en train d’assister à une scission dans les chaînes d’approvisionnement selon les standards chinois, ou selon les normes occidentales, qui ne seront pas compatibles les uns avec les autres ? Pour le moment, c’est difficile de prédire l’avenir, mais ce qui me paraît probable, c’est que la Chine sera toujours n°1 dans 10 ans sur les batteries derrière l’Europe et les USA.
Quel est ton point de vue environnemental sur l’exploitation massive des terres et métaux rares?
On se réveille devant un énorme hoax, pour moi le sujet de la voiture électrique c’est un Electric Gate, car on nous sert des pubs pour « rouler vert » en pensant que la voiture est propre alors qu’on sait qu’on creuse profondément dans le sol.
Bien qu’on voit arriver des batteries qui évoluent, composées de nouveaux métaux (Lithium, Fer, Phosphate), et des projets de batteries lithium-soufre et sodium-ion, on va vers des évolutions notamment technologiques. Mais le spectre des métaux va s’élargir et les matières deviendront critiques avec un coût écologique qu’on espère moindre. On va vers une consommation de ressources toujours plus forte. Je suis donc inquiet pour l’avenir.
La guerre des métaux rares et L’Enfer numérique, voyage au bout d’un like, éditions Les Liens qui Libèrent. Plus d’infos ici.
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