Hors Normes #21
Joe Biden veut taxer les mineurs de bitcoins...Une gigafactory de batteries taïwanaises à Dunkerque...OpenAI a perdu 540 millions de dollars en 2022...
L’Edito
Rubix Cube
Les leaders de l’intelligence artificielle (Google, Microsoft, OpenAI et Anthropic) ont été convoqués cette semaine - en costume vous l’aurez remarqué - à La Maison Blanche, par Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris. Une réunion qui fait suite à la visite d’officiels de la Maison Blanche lors de l’événement NeurIPS en novembre dernier, l’événement IA qui réunit tous les pontes du secteur, et coïncidant avec le lancement de ChatGPT, comme nous le reportions dans Hors Normes #6.
Cette convocation de la Maison-Blanche en pleine période pré-électorale est pleine de symboles. Mais c’est en regardant la presse américaine que l’on comprend le casse-tête de la régulation, aussi souhaitable et nécessaire soit-elle :
Pour le New York Times, cette convocation est donc bien une volonté politique claire de pousser les acteurs de ces technologies à limiter les risques de l’I.A. Le NYT a donné la parole à différents représentants politiques, dont celui de Lina Khan, la présidente de la Federal Trade Commission, qui n’hésite pas à comparer les développements récents de la technologie IA à la naissance de géants comme Google et Facebook, avertissant que, “sans réglementation appropriée, la technologie pourrait renforcer le pouvoir des plus grandes entreprises technologiques et donner aux escrocs un outil puissant”.
Pour le Wall Street Journal, il y a “une limite à ce que peut faire la Maison Blanche”. Malgré les différentes initiatives déjà prises par les agences gouvernementales pour encadrer les usages, et le soutien à hauteur de 140 millions de dollars en fonds publics en faveur de la recherche et du développement, c’est la compétition internationale qui est aujourd’hui un Rubix Cube. Ralentir aujourd’hui alors que ChatGPT pulvérise tous les records de traffic Internet, et que l’IA est une technologie également utilisée à des fins militaires, c’est donner l’avantage aux concurrents, y compris les concurrents étrangers. Et il n’en est évidemment pas question. C’est finalement le MIT Technology Review qui résume assez bien l’imbroglio techno-économique pour la sphère politique américaine : “Le gouvernement Biden pousse les leaders de l’IA à être plus éthiques". Bonne chance pour cela…”.
LES NEWS
CRYPTOWORLD
Joe Biden veut taxer les mineurs de bitcoins
La Maison-Blanche montre moins de limites à “réguler” le secteur des crypto-monnaies. Et il le fait à la faveur de la transition énergétique: cette semaine, le gouvernement Biden a déclaré vouloir mettre en place une “Digital Asset Mining Energy Tax”, une taxe de 30% pour les mineurs de crypto-monnaies. L’activité de minage consomme énormément d’électricité et l’objectif est une taxe compensatoire de la dépense énergétique.
La taxe devrait permettre de collecter 3,5 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années.
→ La Chine est le pays le plus actif dans le minage des cryptomonnaies, elle concentre 80% de l’activité mondiale. En 2021, 130 millions de tonnes de carbone seront émises chaque année selon une étude la revue Nature, soit plus que la consommation énergétique d’un pays comme l’Italie ou l’Arabie Saoudite.
Le Bhoutan investit dans le “minage vert” des crypto-monnaies
Ce tout petit pays qui indexe son PIB sur le bonheur de ses habitants (le Bonheur national Brut, depuis 1972) s’intéresse de près aux technologies. Druk, le Fonds d’investissement du royaume vient de signer un accord avec la société de minage Bitdeer, une société chinoise cotée au Nasdaq, pour lever 500 millions de dollars dans les crypto-monnaies “propres”. Le projet vise à installer des exploitations de minage de bitcoins construites sur des sources d’énergies renouvelables : électricité hydraulique et hydrogène.
Le Bhoutan, dont la constitution exige que 60% du territoire reste boisé, dispose d’un bilan carbone négatif. Il exporte déjà son hydroélectricité vers l'Inde, son pays voisin.
ÉNERGIE
Une gigafactory de batteries taïwanaises à Dunkerque
Le quotidien La Voix du Nord indique qu’Emmanuel Macron devrait inaugurer une gigafactory à Dunkerque le 12 mai prochain, une information reprise par le magazine Challenges. Cette méga-usine devra produire des batteries de voitures électriques avec l’appui du taïwanais ProLogium, une société qu’une délégation de Bercy a visitée en mars dernier. ProLogium devra produire entre 500 000 à 750 000 batteries EV par an. Sur le site de la Commission Nationale du Débat Public, le projet coûterait 5,2 milliards d’euros et créera plus de 2000 emplois en France.
CHIPS
Chine: une "peur inutile" selon Taïwan
John Deng, le représentant des affaires commerciales de Taïwan, a donné une interview à Associated Press. Ce dernier appelle au calme dans les tensions entre la Chine et les Etats-Unis:
"Nous devons éviter toute exagération ou rhétorique qui ne reflète pas la vraie situation, qui crée la peur... une peur inutile", a déclaré Deng à AP.
Le géant taïwanais TSMC construit actuellement une usine en Arizona et prévoit d’en ouvrir une autre pour un investissement total de 40 milliards de dollars. Un investissement qui répond à l’appel de Joe Biden de relocaliser la production des semi-conducteurs, indispensables aux équipements tant électroniques civiles que militaires.
Taïwan n’est pas le seul acteur technologique que les USA a attiré sur son sol, des pactes ont été signés avec la Corée du Sud et d’autres pays alliés. Mais l’île en proie à la foudre de la Chine cherche, malgré le discours de l’apaisement, à réduire sa dépendance économique, elle exporte de 35 à 40% de ses produits sur le continent chinois.
“Taïwan se rend compte qu'il n'y a aucun sens à leur envoyer des puces (à la Chine, nldr), pour construire des missiles qui nous visent ", a déclaré John Deng. L’activité de production électronique haut de gamme pèse 25% du PIB de Taïwan.
CYBERSPACE
La Russie négocie des contrats de satellites en Afrique
La société d’état russe Roscosmos serait en train de négocier des contrats avec plusieurs pays africains pour la conception et la mise en orbite de satellites, selon Afrique IT News. L’Algérie, le Nigeria, l’Egypte et l’Afrique du Sud font partie des pays partenaires avec des programmes spatiaux déjà existants.
Ces contrats en négociation avec Roscosmos visent à accélérer l’accès aux technologies spatiales pour offrir une meilleure couverture telecom et Internet, notamment à haut débit dans des régions rurales dépourvues de connectivité.
SOCIAL MEDIA
Elon Musk bon élève ?
Elon Musk a beau jeter l’opprobre sur les “médias d’Etat” - qui ont poussé la Radio Publique Nationale américaine (NPR) ou le Public Broadcast System (PBS) à claquer la porte du réseau social- ce dernier se montre bon élève (ou complaisant selon certains observateurs…) avec les gouvernements qui ont des demandes d’intervention, voire de censure. Entre octobre 2022 et avril 2023, Twitter a reçu un total de 971 demandes de gouvernements et de tribunaux, pour supprimer des messages jugés extrêmes ou encore pour obtenir des données privées de certains comptes anonymes. Elon Musk a répondu favorablement à 808 de ces requêtes officielles, comme le publie Twitter sur la base données ouverte Github.
Depuis que Musk a pris la tête de Twitter il y a 6 mois, le taux de réponse à ces demandes officielles est passé de 50 % à plus de 80 %.
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Les pertes d’OpenAI s’élèveraient à 540 millions de dollars en 2022
L’éditeur “non profit” OpenAI aurait dépensé la moitié d’un milliard de dollars au lancement de son IA générative ChatGPT selon The Information. Des pertes qui ont doublé par rapport à 2021.
En avril dernier, ChatGPT a bénéficié d’1,76 milliard de visites, selon les estimations du cabinet SimilarWeb. Traduction économique : il faut à OpenAI 750 millions de dollars par an pour tenir cette énorme charge. Pour remédier à cela, Sam Altman, le co-fondateur d’OpenAI, tablerait sur une levée de fonds de 100 milliards de dollars dans les prochaines années pour soutenir le développement de ChatGPT, aujourd’hui commercialisé auprès des développeurs sous la forme d’un abonnement de 20 dollars par mois pour une intégration web et mobile. Et bientôt une offre BtoB.
Analyse
“Il y a une bulle de l’IA à San Francisco”
Erwann Millon est le fondateur d’une startup, Krea.ai, qui utilise l’IA générative pour les designers. La startup basée à San Francisco vient de lever des fonds pour la deuxième fois, auprès de Google et A Capital.
“ Beaucoup d'investisseurs pensent qu'une bulle se forme dans ce secteur de l’IA, en particulier de l’IA générative. Les valorisations des startups dans l'IA générative sont nettement plus élevées que dans tout autre secteur. On voit souvent des seed round à 30-40 millions (par rapport à des valorisations seed de ~15 millions en moyenne). Le problème est que beaucoup de startups lèvent grâce à la "hype" autour de l'IA générative. Soit ils ont un business modèle peu concret, soit une défensibilité inexistante (un avantage concurrentiel, nldr).
Je pense notamment aux "ChatGPT wrappers", c'est-à-dire des produits qui utilisent le modèle de langage GPT avec très peu de valeur ajoutée ou de différenciation. Par exemple : une application qui s'intègre avec votre boîte mail pour répondre à vos emails avec GPT. Bien que l'utilité du produit soit claire, n'importe quel développeur frontend pourrait reproduire l'application en un weekend en utilisant le même modèle d'intelligence artificielle. Ces startups seront forcées à se partager des marchés très fragmentés sans l'avantage de leur propre modèle, car l'accès à GPT4 passe par OpenAI et ne permet pas aux startups de modifier le code et/ou le modèle sous-jacent.
D'un autre côté, on pense que ce sera beaucoup plus compliqué pour les startups de concurrencer les plus grandes entreprises (OpenAI pour le texte, Midjourney pour les images) dans les mois à venir. La plus grande startup qui crée des modèles open Source (accessibles entièrement au grand public), Stability, va sans doute mourir bientôt. Ils ont levé 100 millions en octobre et dépensent 9 millions en coûts de cloud computing par mois, sans compter les dizaines de salaires à 6- ou 7 chiffres de leur équipe. Néanmoins, ils n'ont aucun business modèle et quasi 0 revenus (leur seul revenu vient des startups qu'ils ont acquises). Je pense que les incentives pour les grandes entreprises à publier des modèles "open-source" vont fortement diminuer avec l'échec de Stability, ce qui sera le début d'une période très difficile pour les startups en IA. Cela forcera les startups à innover pour créer de meilleurs modèles, ce qui est extrêmement compliqué sans les mêmes ressources de ces grandes entreprises. Beaucoup de startups ne tiendront pas le choc, d'où l'idée qu'on se trouve dans une bulle ”.