Edito
Le Salon VivaTech a rassemblé une partie de la Tech française et internationale, un succès d’affluence cette année, qui s’explique en partie par la présence d’Elon Musk venu en guest-star à Paris.
Si Emmanuel Macron a tenté de lui arracher la promesse d’implanter une giga-factory dans le pays, rien n’est sorti… Comme nous vous le disions la semaine dernière, Musk préfère discuter avec l’Espagne qui dispose de 300 000 tonnes de lithium disponible, contre seulement 3 zones de gisements exploitables en France: le Massif Central, la Bretagne et l’Alsace.
Il est par ailleurs probable que la colère des associations écologistes espagnoles contre les gisements de “l’or blanc” finit de rassurer l’entrepreneur texan: c’est sans commune mesure avec celle des mouvements sociaux qu’a connu la France récemment.
La tech internationale à VivaTech 2023
Une partie des écosystèmes tech internationaux étaient visibles au Salon VivaTechnologies qui clôture ce samedi sa 6ème édition. Y compris le Pakistan, qui disposait d’un petit mètre carré au sol mais quasiment personne sur son stand. Il faut dire que celui de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) juste à côté, attirait nombre de jeunes venus “jouer” avec des interfaces de combat sur ordinateur…
L’Ukraine était également invitée, sans présenter les drones de combat ni de systèmes Starlink qui sont au coeur de la bataille sur le terrain. Il s’agissait surtout de montrer, pour VivaTech, un soutien au pays qui est en guerre depuis plus d’un an.
À une encablure, se trouvait le Pavillon arménien, porté par Le Ministère des technologies d’Erevan. J’ai demandé à sa porte-parole de commenter le récente implantation du géant des composants Nvidia sur la zone, en avril dernier. En effet, l’entreprise américaine spécialisée dans la conception de processeurs, de cartes et de puces graphiques, a choisi ce pays pour y installer un laboratoire de recherches.
Du côté du Ministère des technologies, dont le spectre est aussi celui du militaire, on indique que les sociétés étrangères bénéficient d’une taxe spéciale qui permet aux investisseurs et entrepreneurs de s’implanter facilement en déduisant 50% des recettes locales à déclarer. Mais on glisse aussi à l’oreille que c’est l’impulsion d’une partie de la diaspora arménienne qui explique ce choix ultra-stratégique de Nvidia de baser son activité sur place. Hypothèse en partie confirmée si on regarde du côté des équipes: Rev Lebaredian, le Directeur technique en poste depuis plus de 20 ans chez Nvidia, a organisé les rendez-vous clés avec le gouvernement local. Erevan, capitale du pays, redeviendra-t-elle l’ancienne Silicon-Valley de l’empire russe qu’elle a été par le passé ? Dans tous les cas, Erevan peut désormais compter sur la puissance de feu de Nvidia, qui totalise 22 milliards de dollars de revenus, et emploie plus de 20 000 personnes dans le monde.
Interview
L’Inde mise sur le protocole open-source pour contrer les Goliath américains
Après avoir lancé une politique ambitieuse sur la digitalisation de ses infrastructures publiques, à commencer par le système d’identification unique Aadhaar qui centralise les données biométriques des citoyens indiens, le pays aux 1,4 milliards d’habitants veut accélérer la digitalisation de son économie, et en particulier l’e-commerce.
Dr Pramod Varma, Docteur en computer science, à l’origine du système d’identification Aadhaar, mais aussi des programme eSign et de l’interface de paiement unifié (UPI), est en croisade pour démocratiser Beckn, un protocole open source vu comme un “bien commun numérique”.
Il dirige la FIDE (Foundation For Interoperability in Digital Economy) fondée par Nandan Nilekani, le créateur d’Infosys, l’une des plus grandes entreprises de services numériques en Inde après Tata Communications.
Pourquoi Beckn? À quels besoins répond ce protocole ?
Dr Pramod Varma: Internet est en soi décentralisé. Il n’y a pas qu’une seule entreprise qui “contrôle” Internet. Quand vous utilisez votre téléphone, il y a plusieurs protocoles qui communiquent sur des standards qui ont été fixés. Au-delà de l’Internet historique, les USA ont rapidement créé des “wall gardens”, par exemple des applications de communication comme les messageries, mais sans qu’elles soient interopérables. Or, l’Inde mise sur l’interopérabilité, sur des systèmes ouverts, qui évitent la dépendance aux plateformes, et libèrent le consommateur. D’où Beckn qui doit répondre à cette exigence que nous avons initiée en 2017.
Comment cela fonctionne ?
Il s’agit d’un protocole open source ouvert, sur lequel les développeurs peuvent lancer leur application et leur business, en cohabitation avec d’autres applications. Cela permet par exemple à un consommateur qui veut booker un taxi de pouvoir accéder en une fois à plusieurs services, et de payer en une fois pour ce service. En Inde, à Bengalore, nous avons reçu plus de 6000 demandes sur des apps de booking de taxi pour rejoindre le protocole Beckn, et alors que le marché est déjà dominé par Uber. L’e-commerce doit fonctionner sur un mode ouvert et non fermé comme c’est encore le cas aujourd’hui.
Ce protocole ne doit donc pas vraiment plaire à Uber…
Il est vrai qu’Uber n’est pas vraiment ravi, il s’y oppose même….Parce qu’ils voient une disruption de leur modèle. Mais contre toute attente, Amazon, qui est présent en Inde, a rejoint le mouvement Beckn. Cela nous a surpris !
Quelles sont les chances de réussite pour Beckn ?
Nous nous adressons à la prochaine génération d’entrepreneurs qui vont coder des applications qui n’existent pas encore. Et nous misons sur l’e-commerce pour digitaliser plus rapidement les commerces, sur une philosophie plus “socialiste” que le capitalisme à l’américaine… Tout le monde doit pouvoir être en contact avec son consommateur, et bénéficier d’un service de transaction sans qu’un monopole en concentre la valeur.
Beckn est aujourd’hui une communauté de 2500 acteurs dans le monde. La ville de Zurich teste notre protocole en créant son réseau local de booking de charges électriques. Paris teste aussi le protocole en vue des Jeux Olympiques 2024.”

Le scénario “datastrophe” vu par le Campus Cyber
Le Campus Cyber, créé en février 2022 par la Présidence de la République, a évalué quatre scénarios sur le devenir de l’espace cyber d’ici à 2030 :
L’ultra-connectivité, liée à l’accélération des échanges
de données et de leur vitesse
L’ultra-cloisonnement, liée à l’exacerbation des souverainetés,
en raison de la méfiance géopolitique et des craintes face
aux dépendances entre écosystèmes numériques
L’ultra-green, liée au renforcement des idéologies environnementales et de sobriété numérique face au changement
climatique
L’ultra-réglementation, liée au durcissement réglementaire
dans un objectif de restauration de la confiance numérique.
Dans son rapport d’anticipation baptisé “Cyber Horizons 2030” que nous avons pu nous procurer, le Campus Cyber élabore différentes pistes possibles destinées à lutter contre la cyber-criminalité, d’évaluer les évolutions possibles en matière de guerre cognitive, d’attentats et de tension sociale. Le document propose en outre des termes très nouveaux. Par exemple la “datastrophe” :
“En 2025, la révélation de pratiques scandaleuses, dont les piratages, les vols et les recroisements de données réalisés par des gouvernements avec le support de sociétés privées sonnent le glas de la confiance numérique : c’est la datastrophe. Les populations se révoltent et manifestent pour une remise sous contrôle de l’utilisation du numérique”.
Le rapport ajoute à cette probabilité : “Les cyberattaquants tirent profit de l’environnement conflictuel entre groupes d’acteurs idéologiques en monétisant leur services pour la réalisation d’actes d’hacktivisme parfois violents et très déstabilisateurs. Ces hacktivistes visent les systèmes qui seraient trop énergivores (monnaie numérique & cryptoactif, data centers...) et les détruisent en faisant la promotion des messages pour l’avènement de la sobriété numérique. Les idéologies extrêmes, partagées largement, encouragent le développement transnational des groupes d’attaquants”.
Un scénario qui nous rappelle la chronique de Pierre Haski sur le mouvement des Luddites.