Un chef d’État qui exhibe fièrement son nouveau smartphone, ça fait un peu m’as-tu-vu. Sauf quand c’est le président vénézuélien, le camarade Nicolas Maduro, à son retour de Chine. Son téléphone est très politique, tout comme le message qu’il porte : il s’agit du nouveau modèle du fabricant chinois Huawei, le Mate 60 Pro, dont je vous parlais dans ma précédente chronique. « C’est un cadeau de mes amis chinois, et je pense que c’est le téléphone le plus sûr que j’aie jamais eu », s’est exclamé le successeur de Hugo Chavez à la tête du Venezuela, en montrant son appareil sous toutes ses coutures. L’amitié chinoise vaut assurément un coup de pub à Huawei pour le président d’un des pays les plus endettés (plus de 50 milliards de dollars) vis-à-vis de la Chine, et qui revient de Pékin avec des promesses de soutien, y compris la participation du Venezuela au programme spatial chinois.
Le cadeau d’un Mate 60 Pro au chef d’un pays ami de la Chine n’est évidemment pas qu’une marque d’affection : ce smartphone résonne comme un défi à l’Amérique et à ses sanctions technologiques, puisqu’il affiche une « puce » de 7 nanomètres, une avancée pour l’industrie chinoise. Et il n’est pas indifférent que ce soit Huawei qui en soit à l’origine. La guerre technologique entre Washington et Pékin a justement éclaté, au moins dans sa phase publique, avec l’arrestation de Meng Wenzhou, la directrice financière du groupe, à Vancouver, au Canada, en décembre 2018. Meng Wenhou n’est pas « que » CFO de Huawei, elle est aussi, et surtout, la fille du fondateur du fleuron des équipementiers télécoms chinois, une princesse rouge !
Comme tout est affaire de symboles, voilà que Huawei annonce qu’il lancera officiellement son nouveau smartphone Mate 60 Pro le 25 septembre… qui se trouve être la date anniversaire du retour triomphal de Meng Wenzhou après sa libération il y a deux ans. La CFO de Huawei a été autorisée à retourner en Chine après trois ans en résidence surveillée avec bracelet électronique à Vancouver, à la suite d’un accord sino-américain. Elle était sous le coup d’une demande d’extradition américaine pour avoir violé les sanctions internationales contre l’Iran. Ces poursuites ont été abandonnées. En échange, Pékin a libéré deux Canadiens qui étaient retenus de fait en otage dans les geôles chinoises. Meng Wenzhou avait été accueillie en héroïne par le personnel de Huawei sur le campus ultramoderne de la société à Shenzhen ; une mise en scène destinée à montrer au pays tout entier la victoire de Pékin face à « l’impérialisme » américain.
C’est donc cette date qui a été choisie pour montrer à la Chine et au monde que non seulement les États-Unis n’ont pas réussi à garder la CFO de Huawei, mais ils n’ont pas réussi non plus à « tuer » la marque chinoise, pourtant écartée de la plupart des marchés occidentaux. Huawei is back : non seulement la société a renoué avec les bénéfices et la croissance, mais elle se paye le luxe de sortir un smartphone qui défie les restrictions américaines. Le 25 septembre à 14h30, ce message très politique sera le sous-texte d’un rendez-vous aux allures de keynote d’Apple, mais hautement géopolitique. Tel un chiffon rouge, le nouveau smartphone de Huawei a mis Washington en ébullition, et des enquêtes ont été dépêchées pour savoir si la technologie utilisée viole les sanctions américaines : en ligne de mire, le fabricant de semi-conducteurs chinois SMIC, fournisseur de la puce du Mate 60 Pro.
On comprend mieux, dans un tel contexte de rivalité sino-américaine, la joie du Président Maduro à exhiber son nouveau smartphone. C’est toujours ça que les Yankees n’auront pas !
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France et Inter et à l’Obs, ancien correspondant pour Libération en Chine. Il est Président de Reporters Sans Frontières.