Réconciliation - 和解 - Héjiě
En ces temps de commémorations historiques, peut-être aurez-vous remarqué qu’à deux ou trois jours de distance, ont été célébrés deux grands événements qui, bien que n’ayant rien en commun, donnent tout de même à réfléchir si on s’amuse à les mettre en parallèle.
Le premier, le 6 juin, qui marquait le 79è anniversaire du débarquement américain en Normandie, et pour lequel nombre de citoyens et de militaires américains, australiens, canadiens, néo-zélandais, anglais, français et allemands, se sont retrouvés avec émotion à Colleville-Montgomery (Calvados).
Le hasard a voulu que je me trouve, la veille, à Caen, à un jet de pierre des festivités. Face au nombre d’Allemands présents dans mon hôtel, je me suis pris à méditer sur le remarquable travail de mémoire et de réconciliation accompli par les peuples, autrefois engagés dans cette abominable boucherie collective. Voilà qui a suffi à me mettre en joie, au point que, si je voue toujours une immense reconnaissance aux GI’s qui sont venus mourir en France pour nous libérer, je dois avouer que seule la pudeur et la timidité ont empêché le fils de Juif que je suis, d’embrasser fraternellement les visiteurs Allemands venus pour l’occasion.
Le second événement, lui, se célébrait le 4 juin, en souvenir de l’écrasement dans le sang du Printemps de Pékin sur la place Tian An men, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, il y a maintenant 34 ans.
Pourquoi convoquer dans cette chronique ces deux anniversaires ? Car, contrairement au 6 juin 1944 qui est gravé dans l’Histoire, tout a été fait par le Pouvoir chinois pour que le 4 juin n’y rentre jamais. Même si les télévisions du monde entier avaient à l’époque couvert en direct la séquence haletante qui a mené à la tragédie de Tian An men*, toute allusion directe ou indirecte à cet épisode demeure aujourd’hui interdite et sévèrement réprimée en Chine.
L’historiographie officielle a totalement évacué l’épisode et, depuis la reprise en main de Hongkong par Xi Jinping, les commémorations annuelles du massacre, naguère si mobilisatrices, ont aujourd’hui totalement disparu. La nervosité des Autorités locales sur le sujet est telle qu’on a pu voir des dizaines de policiers hongkongais arrêter sans ménagement dans la rue, un individu, seul, qui osait exhiber sur son téléphone portable… une photo de chandelle. Pour ceux qui l’ignoraient encore, Tian An men fait bien partie des sujets interdits en Chine, également appelés « Les 3T » : Tian An men, le Tibet, Taiwan… et bientôt Tout le reste.
Il ne s’agit pas ici de donner des leçons de morale en rappelant sentencieusement que le négationnisme est un vilain défaut… et chez certains, une honteuse manie, mais plutôt, de faire un double constat :
1- il est parfois plus facile de faire la paix avec ses ennemis extérieurs qu’avec ses démons intérieurs.
2- Il me paraît surprenant qu’en choisissant le thème de la Communauté de destin pour l’Humanité** comme axe central de sa propagande, Xi Jinping et ses idéologues ne se soient pas demandés quelle nation pourrait bien vouloir un jour lier son destin à celui d’une puissance amnésique ? Mais on ne peut pas penser à tout et le génie a des limites.
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* Gigantesques manifestations de soutien au défunt et très populaire Secrétaire-général du PC, Hu Yaobang. Visite officielle à Pékin du N°1 soviétique, Michaïl Gorbatchev. Manifestations de masse dans les grandes villes de Chine. Occupation pacifique de la place Tian An men. Premières grèves de la faim des étudiants. Loi martiale. Echec des tentatives de médiation avec le Pouvoir. Répression sanglante dans la nuit du 3 au 4 juin. Reprise en main par les caciques du Régime. Black-out total sur le Mouvement.
** Ma chronique Communauté de destin sur Hors Normes du 03/03/2023
Bruno Gensburger, interprète de conférence indépendant en chinois, conseiller en diplomatie des affaires, ex-diplomate, ex-directeur des relations extérieures chez Sanofi (Chine) et futur cadavre.
Karim Oyarzabal est illustrateur et auteur de bandes dessinées. Karim a été comédien en Chine pendant plusieurs années et est diplômé de l’Ecole Polytechnique.