口号 Kǒuhào
C’est plus fort qu’eux. Les Chinois adorent les formules. Surtout avec des chiffres, pour les rythmer, et des clés de lecture qu’ils sont les seuls à détenir. Chez nous, par vocation, les slogans sont plutôt simples et immédiatement compréhensibles, qu’on soit Français ou Papou.
Tout le monde comprend d’emblée ce que signifie Travailler plus pour gagner plus, ou Sous les pavés, la plage, ou Soyez raisonnables, demandez l’impossible, ou Un verre, ça va, deux verres, bonjour les dégâts, ou encore Un petit clic vaut mieux qu’un grand choc.1 C’est limpide. C’est efficace. Mais pour les Chinois, ça manque de chiffres.
Eux, ce qui leur plaît, c’est plutôt : Les quatre modernisations, Les cinq principes de la coexistence pacifique, Les trois représentativités, Les huit gloires et les huit hontes, Les douze si ma sœur le savait, etc. Ils adorent ça ! Mais demandez-leur de vous expliquer le concept et vous verrez qu’ils n’en savent rien. Mais qu’importe, ça fait structuré, mitonné, pesé au trébuchet. On l’a bien en bouche et ça se débite facilement. C’est rassurant comme une poésie de comptable et tant pis pour le contenu. Notez bien, tant que c’est à usage interne et que les Chinois sont les seuls concernés, ce n’est pas très grave.
En revanche, quand on a l’ambition de conquérir le monde avec un concept ou une idée révolutionnaire, là, il faut accepter de faire un petit effort pour être sexy.
Par exemple, si je vous dis que le slogan chinois le plus en vogue depuis 10 ans, c’est « Une ceinture et une route2 », vous allez me regarder avec des yeux ronds. C’est normal.
Si au lieu de lire mes chroniques sur Hors Normes, vous vous intéressiez davantage au "Fleuve Jaune de la pensée", au "Père Dodu du Novlangue", vous sauriez que c’est le nom de l’initiative la plus pharaonique de l’histoire chinoise, lancée par XI Jinping lui-même en 2013. Le sommet destiné à fêter en grandes pompes le 10e anniversaire de ce coup de génie vient de s’achever à Pékin, en présence de nombreux chefs d’Etats, de Jean-Pierre Raffarin et de Vladimir Poutine qui n’a pas été trop gêné par le mandat d’arrêt international dont il est l’objet. C’est vrai qu’en Chine, on se sent en sécurité.
Comme tout a déjà été écrit sur « La Ceinture et la Route », je n’en parlerai pas, sauf pour dire ceci : franchement, comment peut-on espérer séduire en baptisant un projet « La ceinture et la route » ? C’est laid, c’est trivial, ça n’évoque rien. « La peinture et la croûte », à la limite, on pourrait en extraire une certaine logique… mais ce n’est pas du tout le sujet.
En revanche, si on parle des « Nouvelles routes de la soie », alors là, ça convoque l’imagination. Ça fait rêver. On imagine le défilé des lentes caravanes majestueuses de chameaux de Bactriane. C’est la marche ondulante des hommes, des bêtes et des charriots, regorgeants de soieries délicates, de mille variétés de thés raffinés, de fines porcelaines. Ce sont les haltes des marchands Persans, visages sombres, barbes drues, turbans bigarrés surmontés de longs cafetans. Ce sont les chevaux fourbus dans la poussière des pistes désertiques. C’est la douceur des oasis succédant aux rigueurs des déserts. C’est le voyage, c’est l’aventure, les échanges, l’exotisme, la découverte de l’autre. Ça a quand même une autre gueule que « La ceinture et la route », non ?
Eh ben non ! Un jour, lassé d’entendre massacrer par les Chinois eux-mêmes le nom de leur glorieuse initiative, je m’en suis ouvert à l’ambassade de Chine et me suis permis (en ma qualité de traducteur-interprète) de leur suggérer de laisser tomber leur triste dénomination littérale pour au moins, nous offrir un peu de rêve avec « Les nouvelles routes de la soie ».
- C’est-à-dire, m’ont-ils répondu un peu embarrassés, il vaut mieux conserver les mots de notre dirigeant. Ça fait plus chinois.
- Certes, ai-je objecté, les mots sont importants (dans la langue de départ), mais si leur traduction littérale altère ou amoindrit leur portée... Bref, puisque cette formidable initiative s’adresse au monde entier, pourquoi ne pas s’éloigner de la lettre pour mieux en traduire l’esprit ? Songez-y, quelle adhésion pourra susciter une traduction vide de sens ?
J’ai vite senti qu’en insistant, j’allais être soupçonné de tentative de subversion ou de harcèlement textuel. Surtout, j’ai compris que rien, pas même le ridicule, ne pourrait entamer l’implacable et rassurante logique bureaucratique. Qui donc, en Chine, se soucie qu’une mauvaise terminologie trahisse à ce point les limites de l’ouverture, a fortiori de l’ouverture la plus importante : celle de l’esprit ?
On ne peut tout de même pas être plus royaliste que l’Empereur !
On ne se refait pas
Les slogans sont un peu datés, je vous l’accorde.
Il s’agissait à l’origine d’ouvrir une ceinture terrestre et une route maritime, pour relier et désenclaver le monde, faciliter le doux commerce et hâter l’avènement de la prospérité pour tous… les Chinois. Avec le temps, les routes et les ceintures se sont joyeusement multipliées dans toutes les directions.
PS: C’est avec émotion que je lis dans la presse chinoise que le président Xi Jinping a annoncé, mercredi 18 octobre, que le pays établira un réseau de connectivité multidimensionnel de « la Ceinture et la Route » pour soutenir la coopération de haute qualité dans le cadre de cette initiative
j'adore la notion de harcèlement textuel ^^