Hors Normes #29
NetLoss évalue le coût économique des coupures internet...Les Pays-Bas imposent des restrictions au géant ASML...
SEMI-CONDUCTEURS
Le gouvernement néerlandais limite les exportations du joyau des semi-conducteurs ASML
Le gouvernement néerlandais vient d’annoncer qu’ASML, le leader dans les machines servant à produire des semi-conducteurs basé aux Pays-Bas, limiterait l’exportation de certains de ses produits, à partir du mois de septembre: « Les semi-conducteurs peuvent apporter une contribution cruciale à certaines applications militaires avancées », a-t-il justifié dans un communiqué. Les entreprises exportant des équipements de production de pointe pour les semi-conducteurs devront obtenir une licence avant l’exportation, justifiant un tel acte pour des raisons de “sécurité nationale”, a déclaré la ministre du commerce extérieur néerlandaise, Liesje Schreinemacher.
ASML conçoit et commercialise des systèmes indispensables à la production de puces électroniques et de semi-conducteurs. Elle a développé deux technologies qui sont au coeur des restrictions : les EUV (Extreme Ultra Violet Lithography) et les DUV (Deep UltraViolet). Ces techniques dites de photo-lithographies sont achetées par les géants comme Intel, TSMC ou le chinois SMIC, pour l’industrie des micro-puces, cartes mémoires et cartes graphiques.
ASML est notamment en capacité de produire et livrer des systèmes (coûtant chacun environ 160 millions d’euros pièce, de la taille d’un bus! ) pour fabriquer des gravures inférieures à 5 nanomètres, notamment avec ses systèmes EUV. C’est justement sur le modèle TWINSCAN (ci-dessous) que le gouvernement néerlandais sera désormais regardant sur sa commercialisation.
Les composants inférieurs à 5 nanomètres sont par ailleurs au coeur d’une bataille géopolitique féroce entre les grandes puissances : ils permettent d’accélérer d’une part l’industrie numérique en façonnant des équipements plus puissants, mais permettent, d’autre part, d’innover sur le front militaire.
Il s’agit donc d’une course à l’armement technologique dont les entreprises qui détiennent le savoir-faire sont au coeur de toutes les attentions, privées et étatiques.
Pas facile pour ASML donc de continuer sa trajectoire, démarrée en… 1984.
Malgré la politique d’export control imposée par les Ettas-Unis et le "Chips Act” qui arbitre une nouvelle relation entre entreprises technologiques, l’incursion directe des gouvernements dans cette industrie, l’entreprise néerlandaise bénéficie largement de la demande mondiale en équipements électroniques, comme le montre les chiffres de son dernier rapport annuel publié en avril dernier. La part de ventes de ses systèmes EUV compte pour 12% des revenus, soit 7 milliards d’euros; l’activité DUV pèse 13% soit 7,7 milliards d’euros. En 2022, Taïwan représentait 42% des ventes, la Chine 14%, la Corée du Sud 29% et les USA 7%.
Singapour, une partie étendue de l’Europe (EMEA), le Japon et quelques pays d’Asie sont en forte progression depuis plusieurs mois, avec une baisse légère en Chine.
Bien qu’ASML indique que les restrictions du gouvernement “n’auront pas d’impact significatif sur les perspectives financières”, le groupe devra “se conformer à des demandes au cas par cas pour expédier ses commandes à l’international, à l’exception de certaines catégories de produits non soumis aux obligations” indique-t-on chez ASML.
Le groupe, coté en Bourse et dirigé par Peter Wennink, est détenu plusieurs sociétés d’investissement américaines (The Vanguard Group, The Capital Group Companies, BlackRock…) et dans une moindre proportion des investisseurs européens (La Banque centrale de Norvège, le Fonds français Comgest SA, BNP Paribas etc…).
RÉSEAUX
Coupures Internet et impact économique
L’association Internet Society a introduit le calculateur NetLoss, un nouvel outil qui évalue l’impact économique des coupures d’Internet à travers le monde.
Outre l’objectif politique de couper le réseau Internet dans certains pays, NetLoss pointe d’autres impacts négatifs liés à l’absence de connexion au réseau : la perte de PIB des pays et celle des investissements directs étrangers, et la variation du taux de chômage.
On recense 38 blocages du réseau internet en 2022 à l’échelle du monde.
ÉNERGIES
La Chine produit sa première usine nucléaire au thorium
C’est une première mondiale à suivre de très près. La Chine a démarré en 2018 un projet de réacteur nucléaire fonctionnant au thorium, un métal peu radioactif trois à quatre fois plus abondant que l’uranium, et réduisant très fortement l’excès de déchets nucléaires. Le thorium, découvert en Norvège en 1829, permet non seulement de produire l’énergie mais aussi du combustible supplémentaire, ce qui lui vaut, pour nombre d’experts d’être baptisée “l’énergie la plus prometteuse du monde”. Elle serait capable, produite en faible quantité, de fournir l’énergie sur plusieurs milliers d’année à une large partie de la planète. La France s’était lancée très tôt dans la recherche nucléaire au thorium basée sur la surgénération, avec quatre projets de réacteurs fonctionnant à neutrons rapides, inscrit dans le programme “Astrid”, abandonné par les autorités.
L’autorité de sûreté nucléaire chinoise a donc donné son feu vert pour lancer la première phase d’un projet situé dans le désert de Gobi, au centre du pays. Le projet d’expérimentation va durer 10 ans.
Malgré les fortes contraintes d’exploitation qui ont conduit d’autres pays à abandonner les recherches dans ce domaine, le procédé de surgénération au thorium n’en reste pas moins hautement stratégique, de surcroît dans l’ère de la transition énergétique.
→ Pour en savoir plus, visionner la video TEDx du physicien Jean Christophe de Mestral sur l’énergie du thorium :
SOCIAL MEDIA
Google va punir les éditeurs de presse canadiens
Le Canada veut reprendre la main après des années de dépendance aux géants Google et Facebook (aujourd’hui Meta). Le pays a annoncé vouloir mettre en pratique une loi appelée la loi C-18, applicable d’ici 6 mois et exigeant que les grandes plateformes versent des contreparties aux éditeurs de presse locale. Une initiative déjà lancée par l’Australie en 2021 et la France en 2019 avec le droit voisin revisité.
La réponse de Google est radicale : bloquer les news canadiennes sur sa plateforme, en supprimant les liens vers les actualités canadiennes des résultats de recherche. Meta a également annoncé qu’elle ne prendrait pas en compte les actualités canadiennes sur son flux.
Google, dans cette bataille qui s’annonce longue, propose aux entreprises de presse de négocier la rétribution publicitaire sur un affichage de contenus d'actualités plutôt que des liens.
HARDWARE
Le ballon chinois “made in USA” ?
On apprend par le Wall Street Journal que le ballon chinois était fabriqué avec des composants américains.
Le ballon espion chinois qui a flotté au-dessus des États-Unis au début de l’année était chargé d'équipements “made in USA” pour collecter des photos, des vidéos et d'autres informations, comme l’ont déclaré des responsables américains au WSJ. Chose surprenante : le ballon-espion était un mix de composants, dont certains accessibles sur le web… Mais des capteurs plus sophistiqués de conception chinoise trouvés sur l’appareil valident, selon l’enquête des autorités, la thèse d’un ballon chargé d’espionner et non (pas seulement?) destiné à de la surveillance météorologique, comme l’avait revendiqué Pékin.
Apple bat tous les records
La marque de Cupertino a franchi la barre des 3000 milliards de dollars de valorisation, qu’elle avait approchée en janvier 2022.
L’entreprise de Tim Cook reçoit les meilleures marques de confiances des investisseurs, avec, dit-on à Wall Street, la fièvre de l’intelligence artificielle et son pari sur la réalité virtuelle. Apple, qui concentre toujours ses ventes sur le matériel grand public- iPhones et Mac en tête- oriente sa nécessaire opération de “derisking” vis-vis de la Chine en mettant sur le cap de production sur l’Inde et la région du sud-est asiatique.
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Lettre à Thierry Breton et aux décideurs de l’UE
Ils sont plus de 150 chefs d’entreprises à interpeller les décideurs européens sur les dangers que représentent la loi sur l’IA, dans une lettre publiée par plusieurs médias étrangers, dont le Financial Times.
Les dirigeants d’Airbus, de Renault, ou d’Heineken, et des personnalités de la Tech affirment que les réglementations à venir rendront plus difficile la future concurrence, notamment sur l’IA générative aujourd’hui dominée par ChatGPT (OpenAI)
«Une telle réglementation pourrait conduire des entreprises hautement innovantes à déplacer leurs activités à l’étranger» et des investisseurs à retirer leur argent du développement de l’IA en Europe. Le résultat serait un écart de productivité critique entre les deux côtés de l’Atlantique».
Les leaders ont aussi appelé à la création d’un organisme spécifique composé d’experts pour adapter les règles de la règlementation aux futurs développements. En somme, d’aménager voire d’assouplir à la demande la loi sans contraindre le marché. En coulisses, nombreux sont ceux qui pointent un manque de technicité voire de compréhension du sujet économique. La loi européenne est en cours de rédaction et devrait être applicable d’ici 2 ans.
De l’excès de précaution à la dynamique de l’audace, par Joël de Rosnay
Joël de Rosnay, Conseiller du Président d’Universcience, Président Exécutif de Biotics, avait rédigée une tribune en 2018 sur le thème de l’audace. Hors Normes vous la repartage.
De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les dérives de l’application du principe de précaution. Ce principe, défini par la loi Barnier de 1995 est désormais inscrit dans la Constitution française. Au cours des dernières années des personnalités publiques et privées ont fait preuve d’une prudence excessive en imposant des mesures, normes ou lois internationales pour contrer des menaces potentielles qui se sont finalement révélées non fondées ou exagérées. Céder à la panique sous prétexte que le pire peut advenir est devenu un réflexe de plus en plus naturel. Mais quand le principe de précaution est appliqué systématiquement, il constitue un frein au progrès, parce qu’il n’y a pas de progrès possible sans prise de risque, donc sans audace. La difficulté consiste à évaluer au mieux ce risque, c’est-à-dire de manière rationnelle et raisonnable, de façon à ce qu’il ne nuise, ni à l’esprit d’initiative, ni à l’innovation, garants du progrès technologique et du développement économique.
Afin d’éviter les freins au progrès, il me paraît nécessaire d’apporter une complémentarité au principe de précaution grâce à ce que j’appelle le « principe d’audace ». Le principe de précaution, « rigidifie » la société et renforce les attitudes égoïstes. Le principe d’audace, « fluidifie » la société et engendre un climat de solidarité. Dans le financement de l'innovation on fait souvent appel au Venture Capital, mal traduit en français par Capital-Risque. Alors qu’en anglais, la notion de « venture » (partir à l’aventure) est audacieuse et dynamique. Elle transcende le risque ou la peur qui souvent paralysent l’action.
Le principe d’audace rééquilibre le principe de précaution, détourné de ses objectifs premiers, en proposant une base de liberté contrôlée et raisonnée. Il permet de conduire la vie en appliquant des principes de solidarité et d’empathie, à la différence du principe de précaution trop souvent précédé ou dominé par un principe de suspicion et d’anxiété, conduisant à une société craintive, inquiétée par la moindre innovation scientifique, minée par le sentiment de sa vulnérabilité, obsédée par le risque zéro, bref, une société en régression.
Selon le philosophe Dominique Lecourt, deux conceptions de l’Homme s’opposent, ce qui explique que la passion soit toujours prête à ressurgir. D’un côté, la conception moderne de l’explorateur de l’inconnu, qui voit dans l’audace et le goût du risque, le trait le plus précieux de la condition humaine, par définition aventureuse. De l’autre, la conception de l’homme précautionneux, être de désillusion qui ne pense la responsabilité qu’en termes de culpabilité et qui cherche non à imaginer notre avenir, mais à le maîtriser, comme si celui-ci ne devait être qu’un simple prolongement du présent.
Appliquer le principe d’audace, c’est accepter le risque que des avions puissent voler, et donc que certains puissent être perdus. Un choix qui se justifie par la reconnaissance de la réalité naturelle de l’imperfection des choses et/ou de l’impossibilité naturelle de maîtriser le hasard. Cette prise de conscience, cette acceptation de l’imprévisible (ou de l’imprédictible), libérerait la société d’une anxiété aussi prégnante qu’irrationnelle. Elle permettrait aussi d’évoluer vers une société ouverte, moins égoïste, plus altruiste et solidaire. En définitive, plus fluide et respectueuse de l’autre.