Hors Normes #31
La guerre technologique dans la campagne présidentielle aux USA...les actus qui ont marqué l'été...
“Gagner la compétition technologique face à la Chine, un axe majeur de la politique américaine”
La campagne présidentielle américaine a démarré pour élire le futur chef d’une des super-puissances mondiales, dans un contexte d’affrontement techno-économique. Hors Normes a interrogé Maya Kandel, historienne et spécialiste des Etats-Unis et des relations transatlantiques sur le climat actuel de cette campagne.
Que sait on des soutiens de la Silicon Valley et des Big Tech vers les candidats aujourd’hui ?
Maya Kandel: De manière plutôt inédite, au moins sur les quatre dernières campagnes présidentielles, les soutiens des Big Tech ne sont pas recherchés par les candidats. Ils sont devenus sulfureux dans la vie politique américaine. Les deux candidats en tête, Biden et Trump, sont plutôt des critiques des Big Tech. Ron DeSantis, membre du Parti Républicain, également, même si ses critiques ne sont pas les mêmes.
En juillet dernier, on a même vu un groupe de pression bi-partisan se former pour faire pression sur les candidats afin qu’ils refusent tout don des Big Tech pour leur campagne (“No Big Tech money”, à l’image de ce qu’on a déjà vu sur l’argent venant des groupes pétroliers, côté démocrate). À suivre…
En tout cas on n’a pas vu de grands candidats courtiser les Big Tech. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’argent donné, notamment à travers les Super PAC (Super Political Action Commitee), et autres dispositifs financiers qui permettent d’occulter l’origine des donations.
Sais-tu quel candidat est le plus proche des acteurs tech ? Et réciproquement?
Maya Kandel: Le plus proche est le candidat républicain Doug Burgum, un ancien VP de Microsoft; mais il est marginal en termes d’intentions de vote et n’a pas fait campagne là-dessus.
Le plus proche dans ceux qui comptent est Vivek Ramaswamy, qui a fait fortune avec son entreprise de biotechnologies Roivant Sciences. Peter Thiel y avait investi et ils se connaissent. Mais Thiel, qui avait soutenu la campagne Trump en 2020 et plusieurs sénateurs en 2022, a déclaré qu’il n’entendait pas s’impliquer dans la campagne 2024.
Ce qui me semble plus important ce sont d’autres formes de “soutien” ou intervention dans la campagne: par exemple Elon Musk qui a supprimé les restrictions aux publicités politiques sur X (ex Twitter) et soutient DeSantis, qui avait lancé sa candidature sur Twitter space , et qui s’est avéré être un fiasco. On sait aussi que l’ancien patron de Twitter, Jack Dorsey, soutient la candidature de Robert Kennedy, un démocrate complotiste qui veut se présenter contre Joe Biden.
La politique restrictive de Biden vis à vis de la Chine est-elle déjà un axe de campagne ?
Maya Kandel: Les mesures de contrôle des exportations prises par Biden en octobre 2022 sont les plus restrictives à ce jour contre la Chine. Cela a même été qualifié de déclaration de guerre économique. L’hostilité à la Chine est largement partagée: sur le plan économique, c’est l’un des derniers points de convergence de la classe politique américaine. Donc oui ce sera un axe de la campagne - mais c’est le cas au moins depuis la campagne de Clinton en 1996. On va à nouveau entendre parler d’interdire Tik Tok…
Cette politique restrictive, voire agressive, va t-elle s’intensifier selon toi ?
Maya Kandel: Le découplage économique total n’aura pas lieu mais un découplage technologique est en effet en cours pour les semi-conducteurs les plus perfectionnés - même s’il a été rebaptisé de-risking par l’Europe, pour faire plaisir à l’Europe (et l’enrôler?). Le fait de réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine est un point central de presque tous les candidats. Autre élément partagé, la volonté de “gagner la compétition technologique face à la Chine”: c’est un axe majeur de la politique étrangère de Biden, et un argument central côté républicain, que l’on retrouve aussi bien chez DeSantis, Ramaswamy ou Haley. Cette politique devrait donc perdurer dans la prochaine administration, quelle qu’elle soit.
Maya Kandel est historienne, chercheuse indépendante associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, spécialiste des Etats-Unis et des relations transatlantiques. Elle a été Senior Fellow directrice du programme Etats-Unis à l’Institut Montaigne (2021-2022), chargée des Etats-Unis et relations transatlantiques au CAPS, le Centre d'Analyse, Prévision et Stratégie du Ministère des Affaires Etrangères (2017-2021), et directrice du programme Etats-Unis à l’IRSEM, l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire. Elle écrit une chronique bi-mensuelle sur les Etats-Unis pour Mediapart. Son dernier ouvrage: Les Etats-Unis et le monde (Perrin, 2018).
→ Musk dans le viseur des autorités américaines
Selon le Wall Street Journal, le parquet fédéral de Manhattan et le gendarme de la Bourse (SEC) ont lancé deux enquêtes contre Elon Musk et sa société Tesla, dans le cadre de la construction d'une structure de verre dans la région d'Austin. Elon Musk est soupçonné d’utiliser des fonds de la société cotée en Bourse pour son projet personnel.
Récemment, Joe Biden a lancé une offensive contre Elon Musk et sa société Space X pour avoir discriminé les demandeurs d’asile et les réfugiés à l’embauche. Dans ses offres d'emploi, SpaceX a affirmé qu’elle ne pouvait embaucher que des citoyens américains et des résidents permanents légaux, titulaires de la carte verte (Green Card), s’alignant sur les lois du contrôle des exportations, une politique contraire aux lois fédérales, a déclaré le ministère de la Justice américain.
Lire l’article du journal Le Temps
LES NEWS DE L’ÉTÉ
NVDIA annonce des résultats records
Le spécialiste américain des processeurs graphiques est désormais valorisé 1200 milliards de dollars. Nvidia rejoint le club des Big Tech les plus importantes et côtoie le géant Amazon, qui pèse 1391 milliards de dollars. Le niveau de cotation de Nvidia a augmenté de 230% depuis le début de l’année, une croissance tirée en grande partie par une demande stratosphérique de l’industrie de l’IA (Microsoft, OpenAI, Google) mais aussi des Big Tech en Chine (Baidu, ByteDance, Tencent, Alibaba) qui ont commandé pour 5 milliards de dollars de puces Nvidia.
Cryptographie post-quantique : Les USA publient leurs standards
Il faut à tout prix éviter ce que les experts appellent le “Jour Q”, comprenez le jour où les ordinateurs quantiques seront capables de casser les algorithmes cryptographiques existants, d’ici 5 à 10 ans. Le sujet est hautement stratégique, comme nous le confirmait un porte-parole du Ministère des Armées en France en juin dernier ( relire l’interview). En effet, la cryptographie est un système de cryptage permettant de sécuriser les communications et les infrastructures numériques. Le système de chiffrement actuel est potentiellement rendu caduque avec la montée en puissance de l’informatique quantique. La France s’était illustrée en janvier 2022 en envoyant son premier message diplomatique basé sur la cryptographie post-quantique. La Chine, en janvier 2022, avait déclaré être en capacité de casser le chiffrement de l’algorithme RSA avec l'appui d'un ordinateur quantique, un algorithme de clés sur lequel repose notamment en grande parti le système de transactions sur Internet.
→ L’avis d’Olivier Ezratty, expert en technologie quantique
Les USA accélèrent sur la standardisation des systèmes de sécurité de nouvelle génération. Comment vois-tu la publication des premiers standards ?
C’est un processus de normalisation qui a démarré en 2016 et qui se poursuit. Une sélection de protocoles a été faite en juillet 2022, et c’est à partir de cette sélection que les USA ont rédigé un draft de standards qui est envoyé en consultation, ouverte à toute l’industrie notamment. Ces normes sont supportables par n’importe qui.
Quid de la Chine, va-t-elle suivre les normes américaines… ?
La Chine va peut-être créer ses propres normes. Elle a fait un autre pari, celle d’utiliser de la génération de clés quantiques. Les Chinois ont plus confiance dans la physique que dans les mathématiques…
La Chine fait capoter le rachat par Intel d’un fabricant de puces
Le géant américain Intel a annulé le rachat de l’israélien Tower Semiconductor pour un montant de 5,4 milliards de dollars en août.
Intel avait démarré son processus de rachat l’année dernière, mais a finalement reculé, faute d’accord obligatoire avec les parties prenantes, dont la Chine. Intel devra débourser des frais de résiliation de 353 millions de dollars.
Investissements tech en Chine: l’Europe prudente sur le découplage
Alors que Joe Biden a publié cet été un décret visant à restreindre les investissements américains dans les secteurs chinois de l’informatique quantique, des puces avancées et de l’intelligence artificielle, pour faire face à « des risques importants pour la sécurité nationale », l’Europe n’a pas emboité le pas. Du moins, par pour le moment.
La Commission européenne a annoncé en juin qu'elle prévoyait de présenter d'ici la fin de l'année des propositions sur la manière de limiter les risques potentiels de sécurité liés aux investissements à l'étranger. L’approche “derisking” chère à l’Europe est suivie par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, une position prudente expliquée, dans le Financial Times, par les impacts économiques sur les marchés financiers de l’espace européen.
Berlin a affirmé le mois dernier sa « responsabilité et sa détermination » à se coordonner avec ses alliés pour empêcher que les technologies de pointe ne soient utilisées pour développer davantage les capacités militaires de Pékin et menacer la sécurité internationale. Il a ajouté que les mesures « conçues pour contrer les risques liés aux investissements à l’étranger pourraient être importantes » en complément des instruments existants.
Le président Macron et la Présidente Ursula von der Leyen avaient rendu visite à Xi Jinping en avril dernier, tout comme Bruno Le Maire en juillet dernier. Le chancelier allemand Olaf Scholz s’était, lui, rendu en Chine en novembre 2022.
Roulez vietnamien !
La chronique de Pierre Haski
Je posais la question dans l’une de mes premières chroniques pour Hors Normes, fin 2022 : « Savez-vous qui est le premier producteur de voitures électriques au monde ? »…
La chronique de Bruno Gensburger
Hors Normes vous souhaite une belle rentrée ! 💼