Je posais la question dans l’une de mes premières chroniques pour Hors Normes, fin 2022 : « Savez-vous qui est le premier producteur de voitures électriques au monde ? » La bonne réponse n’était pas Tesla, la société d’Elon Musk, mais le chinois BYD qui l’avait détrônée cette année-là. Le succès des voitures électriques chinoises ne s’est pas démenti depuis, et BYD commence à être suffisamment connu pour que ma question soit désormais superflue.
Je pose donc une autre question : savez-vous quel est le troisième constructeur automobile le plus valorisé au monde ? Sauf à avoir été très attentif aux informations du secteur, je doute que beaucoup de lecteurs connaissent la réponse. Ce n’est ni un des constructeurs automobiles historiques, ni un chinois… C’est le constructeur de voitures électriques Vinfast, basé dans un pays qui ne figurait pas sur la carte de l’industrie automobile mondiale il y a peu de temps : le Vietnam.
Vinfast, propriété de l’homme le plus riche du (officiellement) toujours très communiste Vietnam, Pham Nat Vuong, vient de réussir une incroyable introduction en bourse à New York, valorisant la société à 190 milliards de dollars le premier jour (par comparaison, Renault est à 11 milliards d’euros de capitalisation boursière, soit environ 12 milliards de dollars). L’action a beaucoup chuté depuis, mais Vinfast reste valorisé à 95 milliards de dollars, alors que la société n’a vendu que 24 000 véhicules l’an passé, sans doute le double cette année, et perd de l’argent depuis sa fondation il y a six ans, quand Renault est bénéficiaire.
Pure spéculation, ou pari sur l’émergence d’un nouveau tigre, ou dragon, asiatique ? Le fait est que nous avons une nouvelle illustration de la manière dont un saut technologique redistribue les cartes entre les entreprises (et les pays), qui dominaient le monde d’avant, et celles qui s’imposent dans le nouveau monde. La Chine, ou de ce point de vue le Vietnam, étaient peu ou pas présents dans la génération technologique précédente, sauf en sous-traitant des grands constructeurs étrangers. Ils ont fait le « saut de grenouille », c’est-à-dire qu’au lieu de tenter de rattraper leur retard dans la technologie d’hier, ils ont tout misé sur la suivante. Vinfast est suffisamment audacieux pour annoncer la construction d’une usine en Caroline du nord, aux États-Unis, et l’ouverture de points de vente en Europe.
L’histoire de Vinfast est d’autant plus spectaculaire qu’elle commence … en Ukraine. Pham Nat Vuong a en effet travaillé en Ukraine où il a créé une marque de nouilles instantanées. Il l’a revendue au groupe Nestlé, et a utilisé ses bénéfices pour investir dans son pays. Il est aujourd’hui à la tête du principal conglomérat du Vietnam, actif dans à peu près tous les secteurs, de l’IA à l’immobilier.
Il est assurément le symbole de l’émergence vietnamienne dans l’ombre, et dans une rivalité feutrée, avec le géant chinois. Le Vietnam est, avec l’Inde, le principal bénéficiaire de la politique de « derisking » des Occidentaux : que l’on délocalise la production, ou qu’on se contente de faire du « China +1 », c’est-à-dire de doubler tout investissement en Chine d’un autre ailleurs pour limiter le risque, le Vietnam et ses près de 100 millions d’habitants sont toujours sur la « short-list » des destinations.
Ajoutez-y un subtil dosage de rivalité historique (la guerre de 1979, sans remonter plus loin…) et actuelle en mer de Chine méridionale avec la Chine, tempéré par une « camaraderie » de dinosaures communistes, et vous aurez la singularité du Vietnam. Joe Biden ne s’y est pas trompé, qui, dans sa stratégie de « containment », d’endiguement de la Chine, pour reprendre un mot hérité de la guerre froide, arrive en visite officielle au Vietnam le 10 septembre, dans le cadre de son voyage asiatique lié au G20 qui se déroule en Inde. Il y a de fortes chances qu’il croise le chemin de M. Pham Nat Vuong, la vitrine d’un Vietnam qui s’offre discrètement en alternative à la Chine.
Voir ou revoir les émissions Hors Normes consacrées à l’industrie des véhicules électriques :
Pierre Haski est journaliste expert en relations internationales sur France et Inter et à l’Obs, ancien correspondant pour Libération en Chine. Il est Président de Reporters Sans Frontières.
Merci Pierre, j'ai appris beaucoup grâce à ce post. Et il m'a donné envie de retourner au Vietnam :-)