Hors Normes #34
Il y a des synchronicités qui tombent mal. Alors que Xavier Niel vient de débourser 200 millions d’euros dans l’intelligence artificielle, le fabricant mondial de cartes graphiques Nvidia, qui lui a vendu un de ses super-calculateurs, vient d’être perquisitionné par l’Autorité de la concurrence en France, rapporte ce vendredi 29 septembre le magazine Challenges.
Ce qui intéresse le gendarme français de l’antitrust, c’est confirmer ou non une entrave au développement des acteurs du cloud, autres que les mastodontes Google, Amazon et Microsoft.
Nvidia sera en tout état de cause le fournisseur de Scaleway, la filiale cloud du groupe Iliad.
Dans l’écosystème français, on se réjouit de l’investissement de Xavier Niel, car elle colle en tous points à l’ambition d’une “IA souveraine” : « C’est une excellente idée. Si on ne commence pas maintenant, on n’y arrivera jamais », dit l’un d’entre eux. Avis largement partagés sur les réseaux sociaux.
Pour d’autres, bien que d’acheter de la puissance de calcul soit une bonne chose, c’est surtout un très bon coup de la part de l’américain Nvidia.
Par ailleurs, l’ambition de Xavier Niel survient dans un contexte de goulot d’étranglement dans l’industrie des “chips” et notamment des GPU, les cartes graphiques essentielles pour faire tourner les modèles. Portée par l’essor des acteurs de l’IA et du reste de l’industrie numérique, la chaîne de valeur des composants est perturbée par les interdépendances entre fabricants.
Or, l’accélération technologique est là, et les puissants modèles d’IA nécessitent, selon les estimations, de se procurer 3000 GPUs pendant plusieurs mois pour créer un modèle fondationnel de type GPT 3.5, soit un coût d’environ 5M€ par mois pour créer un modèle fondationnel, entre 10 et 20 millions d’euros pour un modèle abouti.
Mais l’accélération technologique ne dit pas encore ce que dira le marché, l’industrie de l’IA étant tout juste en train de se construire.
Satellite
Eutelsat et OneWeb fusionnent
Le rachat était connu depuis juillet dernier, mais il est désormais finalisé : l’opérateur satellite européen Eutelsat, créé en 1977 et privatisé en 2001, vient d’acquérir OneWeb, un acteur britannique qui s’était lancé en 2014 sur les constellations de satellites en orbite basse.
La concurrence dans le secteur du “new space” est rude : Startlink d’Elon Musk et Kuiper de Jeff Bezos ont en effet secoué l’industrie, et l’Europe a dû réagir. Starlink a pris une avance considérable avec une constellation de 5000 mini-satellites, OneWeb en dispose pour le moment de 618.
“Au CNES, il y a des militaires partout”
Le satellite est justement en plein boom, à la fois porté par la mutation de l’industrie, mais aussi du contexte géopolitique. Les USA disposent aujourd’hui de près de 6000 satellites en orbite, contre 1600 pour la Russie. Le CNES, le Centre National des études spatiales en France, qui a organisé début septembre à Toulouse une conférence baptisée “la militarisation de l’espace”, s’est doté d’une entité spécifique qui va avoir en charge de développer des capacités satellitaires, du géostationnaire aux constellations LEO (orbite basse), jusqu’aux satellites jetables, capables d’émettre à 200 km d’altitude sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Selon un expert proche du CNES : « Je confirme, il y a des militaires partout au CNES en ce moment…», nous confie-t-il.
La Stat de la semaine
Les États-Unis et la Chine arrivent en tête des plus gros fournisseurs de data centers mondiaux. Arrivent suite le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni. En 2023, les dépenses en infrastructure cloud devraient atteindre près de 94 milliards de dollars. L'infrastructure du cloud public continue de se développer fortement, avec pour principaux fournisseurs Dell Technologies, HPE, Inspur, Lenovo, IBM et Huawei.
Quand les noms de domaines font gonfler le PIB des petits états
Quel est le lien entre l’intelligence artificielle, les jeux videos, le secteur de l’entertainment et les îles des Caraïbes ou de l’Océan indien ? Réponse : les noms de domaine.
Parmi les plus “hots” du moment, .tv, .gg et .io et .ai sont les plus demandés. Des sociétés comme Twitch.tv, Discord, ou Open.ai, les utilisent et paient pour s’attribuer ces petites extensions, qui font le bonheur de tous petits états et petites îles. Depuis 1974, les territoires du globe se sont vus attribués des adresses internet et notamment Tuvalu (.tv), l’île Guernesay (.gg), le territoire britannique de l’Océan indien (.io), et Anguilla (.ai).
Or, on apprend par Rest of World que les revenus provenant des ventes d’adresses web, propriétés des états, sont assez juteux : Anguilla, petite île des Caraïbes qui abrite 20 000 habitants, perçoit environ 3 millions de dollars par mois – soit environ un tiers du budget mensuel du gouvernement. L’archipel de Tuvalu perçevrait 10 millions de dollars par an grâce au domaine .tv, soit un sixième de son PIB. Des “taxes” qui auraient permis à Tuvalu de construire ses routes, de garantir l'accès à l'électricité et même de payer sa première adhésion annuelle aux Nations Unies en 2000.
L’ICANN, qui fête ses 25 ans d’existence, est l’organisation qui contrôle et attribue les adresses web et les fameux DNS (Domain Name Servers), sous égide américaine. Mais son indépendance est largement discutée, tant les enjeux sont énormes. “L’affaire Amazon” est particulièrement symbolique.
Jeff Bezos a mis la main sur l’Amazonie
Souvenez-vous, en 2012, le géant Amazon dépose auprès de l’ICANN une demande d’attribution du nom de domaine .amazon, à l’instar de .com ou .org.
Mais le Brésil et le Pérou, qui couvrent géographiquement l’Amazonie, mènent une bataille acharnée pour empêcher que le retailer ne s’attribue le nom de domaine .amazon. Leurs arguments portaient sur une utilisation de l’extension pour promouvoir le patrimoine amazonien et notamment l’ecotourisme dans cette zone. Il aura fallu sept ans à Jeff Bezos pour influencer l’ICANN et ses instances et privatiser l’adresse .amazon, considérée comme un bien commun numérique par les pays d’Amérique du Sud.